Ès-tocade

Ès-tocade

Am, Stram, damned GAFAM !

 

Temps de lecture : "environ" 30 mn

(si tant est que votre temps de cerveau disponible ne soit pas happé par la captologie, le renforcement positif intermittent ou l'effet Zeigarnik !)

 

 

Ceci est le mémoire clôturant mon année de formation auprès de l'EFRATE en Analyse Existentielle et Logothérapie (l'AEL, la thérapie centrée sur le sens). Cette école thérapeutique a été développée par Viktor Frankl, qu'il considérait comme la 3e école viennoise de psychothérapie  après celles de Freud (principe de plaisir) et d'Adler (principe de puissance). Selon V. Frankl, l'être humain est conditionné (culture, éducation, environnement, normes...) mais peut décider de s'affranchir pour devenir 

libre, conscient et responsable

 

 

La vision anthropologique de l’Homme de Viktor Frankl est celle d’une ontologie dimensionnelle : l’être humain n’est pas que psychosomatique, il est également noétique. La noésis est notre dimension spirituelle, de l’ordre de l’intuition, de l’inconscient, qui exerce son influence sur nous en tant que motivation première à chercher des orientations de sens dans notre vie. Elle se manifeste par la noodynamique, un état de tension entre « le vécu de ce qui est » et le « devoir être », qui nous meut à réaliser des projets d’après une projection constante de valeurs et sens spécifiques à actualiser. La noodynamique d’une personne peut être atrophiée (culture éducation), refoulée (souffrance) ou interdite (environnement politique).

 

Si la noésis ne tombe jamais malade (selon V. Frankl), nous pouvons néanmoins connaître une perturbation du rapport à notre noésis : la névrose noogène, qui est consécutive à la perte des valeurs, au sentiment de la perte de sens, et dont l'enchainement scelle le sentiment du vide existentiel.

Mais nous avons tous en nous la possibilité d’un sens qui aspire à devenir réalité et qui nous est unique. Il ne nous reste plus qu’à le découvrir en nous-même !

 

Ce mémoire raconte le nouveau mode d'influence et de pouvoir coercitif  de notre temps, qui s'ébroue sans frontière, touche la population mondiale quasi-indistinctement, mais de manière ciblée, et qui finit par effriter tant notre liberté, que notre conscience et sens des responsabilités, et par éteindre tout désir de nous émanciper : celui des GAFAMPuis, il propose quelques pistes permettant de déterminer comment l'AEL peut contribuer à la (re)conquête de notre propre liberté d' "être-au-monde" que les algorithmes des GAFAM altèrent. Ce qui comporte, bien sûr, la difficulté inhérente au fait que nos addictions, comportements et, bien plus encore, qui nous sommes individuellement, avec notre histoire, notre culture, notre éducation, diffèrent grandement...

 

 

Désormais incontournables, les GAFAM concentrent aujourd'hui à eux seuls les dérives sociétales qui se sont progressivement imposées via l'effondrement des traditions et des religions, en représentant tout à la fois : l'économie de l'attention, de la jouissance, de la data-surveillance, de l'anomie (disparition des valeurs communes à un groupe), de l'agnotologie (désinformation), du confinement et du comportement humain (en tant que manipulable et façonnable).

 

 

Donc ne nous y trompons pas : ce n'est pas tant la collecte de nos données qui est dangereuse en soi (bien que ce processus en soit à la source), mais bien ce qu'en font ensuite les GAFAM pour nous assujettir et nous dévaliser notre humanité

Voyez par vous-même...

 

 

 

Regarde cet imbécile il nous met tous en danger.png

 

 

 

PréFace-Book, Face-Time, Face-App...

 

S’affranchir des pièges du conformisme et du totalitarisme (les deux matrices socio-historiques de la névrose noogène) – mais également de nos conditionnements, lorsqu’ils ne leur sont pas strictement afférents – afin d’identifier et d’orienter le sens de notre vie d’après nos propres valeurs et raisons d’être, figure au cœur du travail de Viktor Frankl. Non sans raison puisque nous sommes constamment soumis aux langages de masse de la propagande (politique de masse) et de la publicité (production massive depuis la révolution industrielle), leviers visant la normativité et le tarissement du primat de l’Être comme moyens d’étouffer toute contestation de l’autorité.

 

Si le contrôle par le discours rhétorique représente un outil de prépotence majeur en politique depuis l’Antiquité (gagner l’adhésion populaire non par la force mais par la conviction), celui de l’image et du bon mot (affiches, flyers, crieurs publics) en publicité ne furent pas en reste. Néanmoins, propagande et publicité finirent par converger à partir de la crise mondiale de 1929. La publicité, facteur de relance et de consolidation du néo-capitalisme, devint alors pratique politique tandis que la propagande se vécut comme un merchandising d’idées-forces, de partis ou d’hommes politiques en tant qu’« images de marque ». 

 

Avec le développement de la presse, du cinéma, de la radio, de la photographie, une proportion toujours plus grande de la population eut accès à l’information, décuplant ainsi la force de frappe des machines à biaiser l’information ou à fabriquer des nouvelles. Un type de langage s’imposa dans cette économie politique pleinement réalisée, dont la prédominance visait à infléchir le comportement du récepteur (fonction conative) : tout en prétendant exposer et dire le vrai, ce type de discours impactait, en réalité, par son mode impératif et/ou séductif

 

Avec la mondialisation, puis Internet (et ceux qui le régentent d’une main de fer dans un gant de velours), un nouveau palier fut encore franchi : le marché n’avait plus de frontières, alors que les États, si ! Dès lors, l’espace mondial devint le champ de transaction de l’humanité tandis que la politique restait circonscrite. De là à faire de l’humanité un marché, et du citoyen, une valeur marchande néolibérale, avec, pour terrain de l’expression de l’opinion, les réseaux sociaux, il n’y avait qu’un pas, vite franchi en vertu d’un modèle de gestion

 

Si la manipulation des masses n’a donc rien d’inédit en elle-même, il s’agit ici néanmoins d’un nouveau mode de pouvoir et d’influence. Non seulement celui-ci impacte le monde entier (95 % de la population, celle qui est connectée), en divulguant des informations à moindre coût, avec privatisation du droit (Facebook et Twitter ont supprimé les comptes de Trump sans contrôle légitime et démocratique) et concentration des pouvoirs en monopoles (affaiblissant, de fait, les systèmes politiques au bénéfice de l’économie de marché), mais encore fonctionne-il de manière diffuse, d’après un mode séductif individualisé et ciblé (un consumérisme où les produits et services n’ont pourtant plus à être adaptés car ils s’adressent à un consommateur universel). 

 

On s’interroge, depuis peu, sur ses effets traumatogènes. De lourdes conséquences existentielles dessinent lentement les contours d’une névrose collective sociogène et noogène, celle de celui que l’on a baptisé l’Homo Numericus. Il m’a donc paru intéressant d’étudier les rouages de ce phénomène de masse dysfonctionnel manœuvré par une poignée d’individus, et de caractériser combien ceux-ci peuvent impacter notre intériorité, aliéner notre liberté, museler notre individualité, comprimer notre responsabilité, démobiliser nos volontés de sens et raisons de vivre et remodeler significativement la manière de se construire de nos enfants. Puis d’estimer comment l’Analyse Existentielle et de Logothérapie peut nous permettre de reconquérir individuellement notre liberté « d’être-au-monde » que les algorithmes des GAFAM altèrent. 

 

 

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Préface                                                                                                                            

Introduction                                                                                                                    

 

I- Les algorithmes

 

1)     Qu’est-ce que c’est ? D’où ça vient ?                                                                                

2)     De leur usage initial aux métadonnées : La Silicon Valley                                                    

3)     Si c’est gratuit, c’est que c’est vous le produit !                                                                  

4)     La cybernétique : « Code is law »                                                                                    

5)     « Le côté obscur de la force, redouter tu dois ? »                                                                

6)     La toute-puissance des GAFAM                                                                                       

 

II- Quelles techniques pour manipuler et restreindre les libertés ?

 

1)     La stratégie de la distraction                                                                                           

2)     Créer des problèmes, réaction, puis offrir des solutions                                                       

3)     La stratégie de la dégradation                                                                                         

4)     La stratégie du différé                                                                                                    

5)     S’adresser au public comme à des enfants en bas âge                                                          

6)     Faire appel à l’émotionnel plutôt qu’à la réflexion                                                              

7)     Maintenir le public dans l’ignorance et la bêtise                                                                 

8)     Encourager le public à se complaire dans la médiocrité                                                       

9)     Remplacer la révolte par la culpabilité                                                                           

10)   Connaître les individus mieux qu’ils ne se connaissent eux-mêmes                                         

 

III- Diagnostic dimensionnel

 

1)     Bios                                                                                                                           

2)     Psyché                                                                                                                       

3)     Noésis                                                                                                                        

 

IV- Les algorithmes : une menace existentielle

 

1)     Perte de ce qui est constitutif de notre humanité                                                                 

2)     Technologie et liberté : « L’espion qui m’aimait » – pour lui !                                               

3)     Notre rapport au temps                                                                                                  

4)     Notre rapport à l’espace                                                                                                

5)     La notion du réel                                                                                                          

6)     La liberté de mal se comporter                                                                                        

7)     Liberté d’expression et politiquement correct                                                                     

8)     Parole Vs. action                                                                                                          

9)     La connaissance de soi-même                                                                                         

10)   Notre vie intérieure                                                                                                       

 

V- 3 exemples : cas concrets

 

1)     L’application « Tousanticovid »                                                                                      

2)     Une étudiante s’exprime sur les RS à propos du décès de Samuel Paty                                    

3)     Deepfake                                                                                                                     

 

VI- Comment l’AEL peut-elle nous aider à revaloriser notre liberté « d’être-au-monde » ?

 

1)     Plan collectif                                                                                                               

a) Régulation, fiscalisation, législation et juridiction européennes                                        

b) Les failles du système : les hackers                                                                            

 

2)     Plan individuel : ose armes citoyen !                                                                                

a) Reconnexion à l’« être-là » : la mort, la souffrance, la culpabilité (Triade tragique)              

b) Reconnexion à son identité : liberté de la volonté, volonté de sens, sens de la vie (TA)         

c) Reconnexion à son pouvoir personnel : conscience, liberté, responsabilité (TE)                  

 

Conclusion                                                                                                                      

Le Logo-algorithmes                                                                                                        

Biblio-filmo-webographie                                                                                                

            

 

 

 

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Introduction

 

Les algorithmes, nés dans la Silicon Valley de l’idée d’une technologie humaine impartiale d’aide à la décision et à la réduction des risques, se sont transformés, en l’espace de quelques décennies, en l’outil le plus puissant de collecte de données humaines à visée mercantile (vente des données aux annonceurs et organismes sociétaux), consumériste (sensibiliser l’utilisateur à une marque de manière ciblée), de surveillance à grande échelle et de modification des comportements.

 

Pour ce faire, l’univers de la Tech, des Big Data (BD), communément regroupés sous l’acronyme GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft[1]), et monopole américain, développent une multitude d’outils algorithmiques pour capter l’attention de chaque utilisateur et le maintenir connecté aussi longtemps que possible. Plus nous sommes connectés, plus ils collectent d’informations à notre sujet, et plus ils réduisent l’imprévisibilité de nos comportements afin de mieux infléchir notre volonté. Privés de hasard, notre attention happée, détournée, ciblée, et nos données personnelles volées, se métamorphosent en identité et vérité numériques : en multipliant les corrélations entre métadonnées collectées, il est désormais possible de tout savoir sur nous – de nos opinions à notre humeur, en passant par notre situation familiale, nos hobbies, nos croyances, nos combats, notre vie intérieure.

 

Prévisibilité, sécurité, allongement de la durée de vie se troquent contre la transparence absolue, la disparition de la vie privée et de l’intimité, la perte de la liberté individuelle et de l’esprit critique. L’utilisateur connecté gratuitement à toute la panoplie offerte par Internet est devenu un « produit » mal informé à la servitude volontaire (la perte de liberté étant trop diffuse) entre les mains d’une gigantesque manœuvre totalitaire quasi-invisible, soumise à un simple modèle de gestion économique engrangeant des billions de dollars et faisant des GAFAM des sociétés parmi les plus prospères de la planète. 

 

Ce modèle de gestion génère à lui seul un glissement de la société jusqu’à éroder la structure de son fonctionnement, dont les répercussions s’observent aussi bien au niveau planétaire qu’individuel. Les algorithmes choisissent désormais à notre place ce que l’on regarde, ce que l’on achète, comment réagir, et influencent même directement nos humeurs et états d’esprit. Manipulations numériques entrainant une emprise et des modifications des pratiques et du temps passé en ligne Vs. la vie réelle, allant jusqu’à avoir une implication sur la réorganisation des structures neuronales humaines. Mais pas que…

 

Fake news à gogo si difficiles à démentir qu’elles intronisent un paradigme de la désinformation ; outils de socialisation incitant aux addictions, à la violence (messages haineux et racistes en ligne se répercutant dans la rue), à la dépression : la triade pathologique franklienne est plus vivace que jamais. Plaintes, scandales, données volées, dépendance, polarisations, élections piratées, dark web, critiques d’anciens des GAFAM permettent de commencer à identifier là où le bât blesse et à la vérité d’éclater. 

 

Le monde de la Tech, sous couvert de bonnes intentions (dont l’enfer est pavé) – œuvrer au bonheur de l’humanité en lui promettant une vie meilleure, tous connectés et égaux face à l’accès aux connaissances, mais également en luttant contre le terrorisme, gage de plus de sécurité – implante en réalité, au cœur de l’humanité, des maux peut-être encore supérieurs à ceux qu’elle a connus via les totalitarismes du XXe siècle. Pour modifier une société, il faut d’abord la briser ? Work in progress… en conduisant et laissant s’enraciner des dérives enflant comme un problème existentiel. Or, la technologie progressant plus rapidement que n’importe quel autre outil dans l’histoire, celle-ci pourrait remodeler de partiellement à entièrement notre humanité, nos valeurs, notre vivre ensemble

 

Alors, quelles logiques capitalistes et quels intérêts se cachent-ils réellement dans la lumière de nos écrans ? Qui possède nos données et qu’en font-ils ? Quels dangers recèlent l’automatisation de la cybernétique, du travail, de la quantification et du néolibéralisme ? À quelles conséquences la numérisation du réel peut-elle mener ? Que devient l’humain lorsqu’il se trouve réduit à un produit ou à un capital manipulable dont il faut mesurer le rendement ? Est-il encore possible d’endiguer cette destruction massive ? Si nous devons laisser la prérogative aux institutions internationales d’agir au sein de la matrice qui l’occasionne, nous pouvons néanmoins nous demander comment, individuellement, nous pourrions nous affranchir de cet asservissement mortifère afin de nous acheminer vers une vie riche de sens.

 

C’est ce que nous allons voir en expliquant comment les algorithmes sont passés d’outils d’aide mathématiques à une intelligence artificielle (IA) invasive ; quelles techniques sont utilisées par les Big Data pour induire une perte de liberté ; en quoi cela influe sur nos comportements aujourd’hui et, par cela, représente une menace existentielle ; et en estimant comment l’AEL peut nous aider à nous reconnecter à notre « être-là », nos identité et pouvoir personnel, et à revaloriser notre liberté « d’être-au-monde ».  

 

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I-             Les algorithmes  

 

 

1)    Qu’est-ce que c’est ? D’où ça vient ?

 

Le mot « algorithme » fut inventé par le mathématicien persan Al Khwarizmi vers 820. Celui-ci introduisit en Occident la numération décimale rapportée d’Inde et y enseigna les règles élémentaires des calculs s’y rapportant. La notion d’algorithme est donc historiquement liée aux manipulations numériques mathématiques.

 

Qu’est-ce exactement qu’un algorithme ? Il s’agit d’une méthode permettant d’exécuter un programme grâce à une suite de commandes en vue de résoudre un problème. Autrement dit, il s’agit d’un procédé systématique, composé d’une suite finie et non ambiguë d’instructions et étapes applicables mécaniquement, en vue d’obtenir un résultat. Les données y sont programmées de façon numérique, via un langage de programmation, ou code binaire : 0 et 1 – les ordinateurs ne maniant exclusivement que des informations binaires, par paquets de 0 et de 1. 

 

À l’origine exclusivement numériques (visant la résolution de problèmes arithmétiques tels que l’extraction d’une racine carrée d’un énoncé mathématique), la plupart des algorithmes, aujourd’hui, ne le sont pas. Parmi ceux-ci, on distingue deux types d’algorithmes

 

Les généralistes, qui s’appliquent à toute donnée numérique ou non numérique – ceux-ci permettent de multiplier deux nombres comme de trouver un mot dans le dictionnaire ou de situer une ville sur une carte.

Et les algorithmes dédiés à un type de données particulier, ceux, par exemple, liés au traitement d’images. Ainsi, les entités manipulées ne sont-elles plus nécessairement des nombres ou des objets mathématiques. 

 

Comment crée-t-on un algorithme ? Le concepteur doit partir du résultat à obtenir en posant des questions telles que : comment trouver telle information ? Obtenir cela ? Calculer tel nombre ? Ou bien encore comment faire ceci ? Puis, un programmateur l’élabore en langage informatique d’après les procédures, les suites d’actions, les manipulations à accomplir séquentiellement permettant de l’atteindre. Ainsi, derrière tout algorithme existe-t-il, à l’origine, une intentionnalité humaine, matérialisée ensuite par un programmateur.

 

Comment mesure-t-on l’efficacité d’un algorithme ? Par sa durée de calcul, sa consommation de mémoire vive (chaque instruction ayant un temps d’exécution constant), ou bien encore la précision des résultats obtenus (via des méthodes probabilistes). Un algorithme est dit correct lorsqu’il se termine en produisant la bonne sortie : c’est-à-dire qu’il résout le problème donné. Il est dit performant s’il utilise avec parcimonie les ressources dont il dispose (la performance limitée de l’ordinateur sur lequel il s’exécute, la mémoire vive ou la consommation électrique).

 

La vertu essentielle des algorithmes est de permettre l’exécution optimisée de procédés répétitifs, principalement grâce à la formalisation et à la description des enchaînements logiques à un niveau plus abstrait, et donc plus général. Raison pour laquelle ils s’étendent à des domaines de la société toujours plus nombreux…

 

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                                       Projetfrance2012.canalblog.com

           

 

 

2)  De leur usage initial aux métadonnées : La Silicon Valley

 

 

La généralisation de leur utilisation a accompagné le développement des langages de programmation depuis les années soixante, qui, en devenant de plus en plus complexes et sophistiqués, permettent aujourd’hui la manipulation de structures et d’objets ayant des propriétés et comportements analogues à ceux du monde ordinaire

 

Qui y a essentiellement recours ? La Silicon Valley (SV) : un pôle de 6 000 industries de pointe en haute technologie – dont Google, Apple, Facebook (FB), Amazon (les GAFA), auxquels on adjoint désormais Microsoft (M) –, situé dans la baie de San Francisco. 

 

Durant ses cinquante premières années, la SV a utilisé les algorithmes afin de produire des logiciels et du matériel destinés à ses clients (de grandes entreprises en tous genres), en B to B (business to business). L’innovation informatique et technologique est alors tirée et dirigée vers les entreprises. Avant d’effectuer un virage majeur, au début des années 2000, avec l’avènement d’Internet à un débit correct, pour imposer un nouveau business plan vers 2010 : vendre à leurs clients (des publicitaires, prestataires de service et enseignes de consommation, en B to B) leurs « utilisateurs » en B to C (business to consumers) : B to B to C. L’innovation informatique et technologique est désormais tirée et dirigée vers le grand public.

 

 

 

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Comment cela est-il rendu possible ? Dès lors que l’on se connecte à une application ou un site gratuit (Facebook, WhatsApp, Instagram, Google map, etc.), ceux-ci collectent les données fournies directement par les utilisateurs (nom, prénom, centres d’intérêt, situation maritale etc.) ou indirectement (un « like » sur FB représente une donnée analysable dès lors qu’il est relié au contenu du post « liké ») via des cookies (désormais réglementés par le RGPD[2]), traceurs[3]ou logiciels espions[4]

 

Exemple : chaque fois que l’on se connecte à un site web, nous sommes identifiés et traqués par des dizaines de réseaux de publicité (Google, adwords, Atlas Solution…), eux-mêmes surveillés par des outils d’analytique web (tel Google Analytics, utilisé massivement par les sites), par le site lui-même qui établit un profil numérique à partir de notre navigation, par les Réseaux Sociaux (RS) (si l’on peut partager un contenu du site en question sur FB, Twitter, IG etc., c’est qu’eux aussi ont accès à nos données), par le navigateur, qui leur fournit notre adresse IP ainsi que les logiciels et la résolution de notre ordinateur ; par les cookies, qui renseignent nos infos d’authentification, nos préférences, les sites que l’on visite régulièrement, réunis sous notre identifiant… Est-il utile de poursuivre la liste ?!

 

 

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Cette collecte d’informations donne lieu à une immense masse de données sur les utilisateurs à l’international, qui est ensuite traitée par le Big Data[5] (BD). Celui-ci permet la capture, le stockage, la recherche, le partage, l’analyse et la visualisation de toutes sortes de données, et plus encore, des métadonnées[6]. Il s’agit alors de leur donner de la valeur ou du sens. Les perspectives du traitement des BD sont gigantesques et pour certaines, encore insoupçonnées. 

 

Sont souvent évoquées de nouvelles possibilités d’exploration de l’information diffusée par les médias, de connaissances et d’évaluations, d’analyse tendancielle et prospective (climatique, environnementale ou encore sociopolitique, etc.), de gestion des risques (commerciaux, assuranciels, industriels, naturels), de phénomènes religieux, culturels, politiques, mais aussi en matière de génomique ou métagénomique pour la médecine (aussi bien concernant la compréhension du fonctionnement du cerveau que l’anticipation de maladies génétiques), d’écologie ou encore de sécurité et de lutte contre la criminalité.

 

Et cette collecte de données massive a débutée dans le plus grand des secrets.

 

 

 

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3)  Si c’est gratuit, c’est que c’est vous le produit !

 

 

Au début d’Internet, la publicité, qui permettait aux sites gratuits de gagner leur vie, était peu efficace (atteignait peu ses cibles). Puis, les données massives (BD), fournies gracieusement par les utilisateurs, ont pu être vendues aux annonceurs et à bien d’autres clients, notamment aux courtiers en information[7] et entreprises de profilage. La matière la plus précieuse contenue dans ces données, c’est le « taux de conversion » : la probabilité de faire d’un consommateur potentiel un client, service pour lequel les annonceurs sont prêts à payer le prix fort. Une pub ciblée d’après les recherches d’un utilisateur sur Internet[8] permet de déclencher sa pulsion d’achat tout en matérialisant ses croyances (ce sont mes besoins) – ici alimentées, donc, par des systèmes mathématiques –, voire de faire naître, chez lui, de nouvelles pulsions en lien avec ses croyances, ou de nouvelles croyances tout court. 

 

Car si les BD vendent leurs utilisateurs, le produit en question est plutôt le changement progressif, léger et imperceptible de notre comportement et de notre point de vue (plus ils possèdent de données sur nous, plus ils « modélisent » nos comportements, plus ils peuvent les prévoir et ainsi nous faire faire ce qu’ils souhaitent – ce que j’expliquerai plus bas). C’est la seule chose dont ils peuvent tirer de l’argent : la façon dont ils orientent un changement de perception et de comportement chez nous, en modifiant nos actions, nos pensées, qui nous sommes, dans la direction voulue : acquérir des biens et services qui nous sont proposés. Ce marché fait donc commerce du futur d’êtres humains à grande échelle grâce au « travail gratuit » des internautes.

 

Pourquoi Google s’est-il lancé dans la construction d’une voiture, la Google Car ? Pour tout savoir sur le conducteur : sa façon de conduire, sa radio préférée, ses destinations favorites, afin de vendre à ses clients des profils ultra documentés pour un marketing ciblé. Avec, en ligne de mire, la voiture autonome, celle qui permettra d’améliorer le fameux taux de conversion. L’algorithme, en plus de tout connaître de nos habitudes, tiendra compte de notre localisation, de l’itinéraire et du trafic. La Google Car la plus proche viendra alors nous chercher. Non seulement nous ne serons plus jamais perdus et nous nous ferons transporter en toute confiance, mais encore… Google connaitra continuellement notre position, en nous proposant des « stops-ang-do » dans des magasins partenaires : comment l’acheteur peut-il résister à l’argument de la sécurité et du zéro effort à déployer ?

 

 

 

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A l’insu de notre plein gré ? Jusqu’à peu (jusqu’à l’émergence de livres et documentaires voués à nous informer des dangers des BD), en nous connectant, nous nous croyions autonomes et libres. En réalité, nous nous soumettons à la machine : la communication obéit à des règles, les messages sont formatés, la relation sociale est programmée. L’algorithme dessine même les contours de notre identité numérique : quand on s’inscrit sur FB, le formulaire à remplir, censé décrire notre personnalité, est standardisé. Notre double numérique est simplifié, il subit une opération de réduction afin de pouvoir être digéré et avalé par la Matrice.

 

Ce faisant… ? En fournissant nos données, nous avons donc scellé, sans le savoir, un pacte avec le diable : notre identité numérique contre des services en libre accès, toujours plus personnalisés. La valeur marchande de l’individu 3.0 est alors passée de sa force de travail à son identité numérique, revendue plusieurs fois. L’humain, simplifié et standardisé, est désormais assimilé à une forme de capital dont on doit mesurer le rendement. Voici, des GAFAM, le business plan.

 

 

 

4)    La cybernétique[9] : Code is law

 

 

Désormais, tout repose sur un même support chiffré, instantanément transportable, duplicable et stockable à l’infini. Des milliards d’ordinateurs, de smartphones et autres objets communicants (électroménager, transport, énergie, caméras de surveillance, etc.) échangent du flux numérique en permanence. Dans la logique du BD, c’est la quantité qui fait sens : plus il y a de données, plus il est possible de les raffiner (le niveau de filtration pour séparer le bon grain de l’ivraie des données collectées dépendant de la qualité des algorithmes) et plus elles prennent de valeur, le résultat touchant à la perfection

 

Ce nouvel or noir, constitué de 0 et de 1, ultra rapide, performant (bien plus que le cerveau humain !) et illimité, est paré de toutes les vertus, pour les BD : il rend intelligible le chaos du monde. En effet, ils considèrent la vérité de facto comme objective, puisqu’issue du gigantesque traitement de masse d’informations par une technique « neutre » et moins « discriminante » (les algorithmes ne sont-ils pourtant pas conçus par des humains aux prises avec des biais culturels, commerciaux ou politiques ?). En parallèle de quoi, la théorie de la cybernétique (1950) affirme que les machines seraient nécessairement « meilleures » que les hommes et ainsi, plus à mêmes de façonner une société plus « juste et harmonieuse ». 

 

 

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Ici, c’est donc l’être humain lui-même qui se voit remettre en question en tant qu’ordonnateur rationnel du monde. La cybernétique conduit à déléguer un nombre toujours plus important de tâches complexes aux ordinateurs d’après des opinions codées orientées « succès » (et non pas « harmonie », « bien » ou « juste » !). Les machines sont amenées à décider de plus en plus souvent à notre place, effritant, ce faisant, l’autonomie de la décision humaine (et donc son éthique et sa responsabilité), imposant, de fait, leur nouveau code de conduite

 

« Le code implémente un certain nombre de valeurs. Il garantit certaines libertés ou les empêche. Il protège la vie privée ou promeut la surveillance. La seule question est de savoir si nous aurons collectivement un rôle ou si nous laisserons aux codeurs le soin de choisir nos valeurs à nos places[10]. » Exit également, donc, les normes juridiques édictées par les États.

 

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                                Rémy Malingrey

 

 

 

5)  « Le côté obscur de la force, redouter tu dois ? »

 

 

La Loi de Moore (1965) énonçait que « la puissance informatique à un prix donné doublera tous les deux ans ». C’est ainsi qu’en sept décennies, la révolution informatique a donné naissance à des robots humanoïdes « intelligents ». Cette intelligence in silico[11] est ensemencée par les « algorithmes évolutifs[12] » – ainsi dénommés car ils s’inspirent des mécanismes de l’évolution biologique. L’homme sait, en effet, aujourd’hui, créer des programmes informatiques qui produisent une solution sans leur expliquer comment la trouver, le DeepLearning : ces algorithmes sont autoapprenants, génèrent d’eux-mêmes leurs propres règles de recherche et de classification et sont capables de résoudre des problèmes par eux-mêmes, tout en découvrant de nouveaux procédés.

 

 

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                    Jacques Pilet

 

 

L’intelligence artificielle et la robotisation étaient déjà en concurrence avec le travail de l’homme, aussi bien pour des tâches répétitives que, plus récemment, pour des tâches bien plus pointues et qualifiées – telle qu’une opération chirurgicale (un robot ne tremble pas, n’est pas fatigué et n’a pas d’états d’âme). Mais nous sommes donc aujourd’hui confrontés, de plus, à la possibilité de devenir les esclaves d’outils si perfectionnés qu’on n’en saisit plus le mode de fonctionnement (sans parler de l’informatique quantique[13]). Ainsi, Google Brain, le programme de recherche en IA de Google, a-t-il permis à deux ordinateurs de communiquer entre eux dans une langue qu’ils avaient eux-mêmes créée, indéchiffrable par l’homme. « Voilà sans doute la nature paradoxale de l’intelligence humaine : ses propres doutes existentiels l’assaillent à chaque fois qu’elle fait preuve de son génie[14] ».

 

De même pouvons-nous nous inquiéter de la fusion homme-machine (exemple : lorsque le comité d’éthique du ministère de la défense donne son feu vert à la recherche sur le soldat augmenté[15]), appelée de leurs vœux par les transhumanistes, et rendue possible par la convergence des robotique, biogénétique, nanotechnologies, neurosciences et informatique. Pour en arriver à la « singularité technologique », moment hypothétique annoncé vers 2040, où l’IA dépassera celle des humains et où les machines, qui jusqu’ici secondaient l’homme, le remplaceront.

 

La « destruction créatrice » schumpétérienne[16] laisse place à la disruption créatrice : l’industrie musicale, la vidéo et l’édition – en partie –, ont été désintégrées par le numérique pour laisser place à une excroissance des GAFAM : les NATU (Netflix, Airbnb, Tesla et Uber) – auxquelles on ajoute désormais les start-ups de livraison de repas à domicile (Uber Eats, Deliveroo), où quelques salariés au bureau pilotent, à coups d’algorithmes, les déplacements d’autoentrepreneurs.

 

 

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Reste que les technologies, ainsi que leurs progrès, sont ce que nous en faisons, question d’orientation que les humains décident de donner à l’évolution, entre rêve et cauchemar. Utopie : par exemple, il n’y a plus de tétraplégiques grâce aux greffes de membres pilotés par le cerveau humain. Dystopie : l’IA pourrait prendre le contrôle de la planète et nous éliminer, de la même façon que nous traitons nous-mêmes les races que nous considérons comme inférieures. Les robots tueurs (DARPA) existent déjà : ce sont eux qui décident d’appuyer sur le bouton de la mitrailleuse intégrée en leur sein. Et qui se trouve aux manettes de toute cette innovation ? Les GAFAM…

 

Capture d’écran 2021-02-13 à 19.43.29.png            Le Gorafi

 

 

6)    La toute-puissance des GAFAM

 

 

a)    Ma petite entreprise ne connaît pas la crise

 

Les GAFAM sont devenus les plus grandes capitalisations boursières mondiales et leurs chiffres d’affaire, comptés en milliards de dollars, ont encore été décuplés durant la crise sanitaire, auxquels elle a bénéficié. Google concentre 90 % des recherches sur Internet dans le monde[17]YouTube (racheté par Google) est davantage visionné que la TV dans le monde, Facebook comprend plus de 2,7 milliards d’utilisateurs actifs mensuels, le tout, le plus souvent effectué depuis un téléphone portable Apple (66% des bénéfices du marché du smartphone). Quant à Microsoft, plus de 88 % des ordinateurs sur la planète sont équipés de son système Windows. Ces monopoles ne permettent pas une optimisation des prix de marché : sans concurrent et malgré les lois anti-trust, ces entreprises peuvent fixer leur prix de vente à la hausse. 

 

 

 

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Ainsi, sous couvert de promettre au monde entier l’accès à une vie meilleure, la fin de la solitude (connexion globale), un élargissement de nos connaissances (accès infini et formation possible tout au long de la vie) et une sécurité renforcée (via « la guerre contre la terreur et le mal »), les GAFAM briguent en réalité l’intérêt (personnel), la croissance (de leur implantation et chiffres d’affaire), la publicité (se faire un max d’argent avec la pub) et l’autocratie (régenter et contrôler le monde). Leurs modèles de gestion (digitalisation comprise, rendant notre être entièrement captif de la toile : santé, impôts, comptes bancaires, RS, voyages) en témoignent, comme nous le verrons plus bas. 

 

Pourquoi le supputer ? Les GAFAM promeuvent la lutte anti-terrorisme ? Pourtant, les RS favorisent la diffusion de l’info (y compris entre extrêmistes eux-mêmes), faisant de chaque acte terroriste une dramaturgie mondiale (et un attentat réussi, c’est celui qui marque les esprits). Une fiction-réalité dont l’impact crée un sentiment d’insécurité justifiant l’alliance BD/renseignement et la mise sous surveillance de l’humanité. Ils promettent de tous nous connecter ? Pourtant, on n’a jamais été si seuls, calfeutrés derrière nos écrans, à échanger virtuellement, appauvrissant ainsi les qualités inhérentes aux rencontres IRL[18] tout en augmentant l’expression de la haine (on est caché et protégé), qui peut se déverser sans conséquence – apparente. 

 

Et quid de l’authenticité ? L’amitié est devenue un chiffre (celui du nombre d’amis nécessaire pour être populaire – on peut même acheter des « followers » sur Instagram). Ils permettent un accroissement de nos connaissances ? Pourtant, en fonction de notre identité numérique, façonnée à partir des données collectées sur nous, du lieu où l’on se trouve dans le monde au moment où l’on effectue une même recherche par mots clés et du référencement[19], on obtiendra des résultats différents. Par exemple, en tapant sur Google « définition du changement climatique », certains, dans une ville donnée, obtiendront la réponse « le changement climatique est un canular », lorsque d’autres trouveront « le changement climatique détruit la planète ». La réponse donnée n’est pas fonction de la « vérité », mais de qui et d’où on en pose la question. 

 

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Pour accéder à une vie meilleure, il nous suffit de nous connecter ? Pourquoi, alors, les écoles de la Silicon Valley où sont inscrits les enfants des BD ont-elles l’interdiction de leur laisser accès à tout objet technologique avant la 4e et privilégient la pédagogie Waldorf[20] ? Réponse par Edward Tufte, professeur de sciences, statistiques et technologie à Yale : « Seules deux industries appellent leurs consommateurs ‘utilisateurs’ : celle de la drogue et celle du logiciel. »

 

 

b) D’une solution technologique à une situation de dépendance

 

On trouve, gravée sur les tables de la loi des Big Data, la règle de Gabor (prix Nobel de physique 1971) : « Tout ce qui est techniquement faisable doit être réalisé, que cette réalisation soit jugée moralement bonne ou condamnable. » 

 

Si toute considération morale ou éthique est balayée du revers de la main en vertu des progrès techniques, si le business model des GAFAM consistant dans la collecte des données de leurs ‘utilisateurs’ s’avère (oh combien) profitable pour modéliser, puis modifier les comportements de leurs utilisateurs, alors l’objectif va se concentrer sur la collecte toujours plus massive de données (enfermer l’humanité dans l’univers utilitaire et manipulable de la quantité) – et donc chercher à maintenir en ligne ses utilisateurs le plus longtemps possible – afin de prévoir les désirs et comportements. Car des sujets prédictibles, ce sont des ‘produits’ que l’on peut cibler, hypnotiser et manipuler. En bref, que l’on peut pleinement contrôler et dont on peut aliéner la liberté

 

Comment les GAFAM s’y prennent-ils ? Avec quelles conséquences existentielles ?

 

 

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II – Quelles techniques pour manipuler et restreindre les libertés ?

 

 

Les 10 stratégies de manipulation de masse énoncées par Noam Chomsky m’ont paru représenter des balises fiables en vue de sonder les techniques employées par les GAFAM pour induire une perte de liberté chez chacun de leurs utilisateurs, partout dans le monde, en vue de promulguer et renforcer leur autocratie. Elles ont été énoncées au nom des politiques et des médias ? Les BD comptent bien les destituer ou les utiliser à leur avantage … 

 

 

1)    La stratégie de la distraction :  garder le public occupé, sans aucun temps pour penser, et ainsi le détourner des problèmes importants, de lui-même et de toute révolte

 

 

« […] Une civilisation séduite, gavée par un torrent de contenus, rendue esclave et comme somnambule par le plaisir qu’elle s’inflige. » Le meilleur des mondes, Aldous Huxley

 

Aujourd’hui, nous avons accès à une quantité d’informations – souvent gratuites – et de propositions culturelles très attrayantes bien supérieure à nos capacités attentionnelles pour en prendre connaissance. À l’ère de l’ « économie de l’attention », où « le temps de cerveau humain disponible » représente une ressource rare qui doit être utilisée à bon escient, l’avantage compétitif réside dans le fait de capter l’attention de l’utilisateur et de la garder

 

 

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À cet égard, les GAFAM ont pour dessein que l’on utilise leurs produits consciemment (accessibilité de notre tel + faible tolérance à l’ennui + rester en contact ou s’inspirer = recette imparable), afin de s’infiltrer, une fois en ligne, dans nos rouages psychiques afin d’y implanter une dépendance inconsciente et nous programmer toujours davantage à notre insu.

 

Pour ce faire, ils emploient la « captologie[21] » : l’intégration, dans leurs algorithmes, de techniques de manipulation visant à les rendre toujours plus persuasifs. FB a, par exemple, testé sur ses utilisateurs de nouvelles fonctionnalités, tel l’ajout d’une identification sur les photos publiées. Une notification nous indique qu’on a été tagué/e : shoot de cortisol et de dopamine (neurotransmetteur qui active le circuit de la récompense) rendant inévitable d’aller la regarder. La récompense associée étant aléatoire (vais-je obtenir des ‘like’ ?!), la quantité de dopamine s’en trouve accrue : c’est le principe du « renforcement positif intermittent ». Il en va de même de l’activation de points de suspension lorsque notre interlocuteur/trice nous répond : on patiente… en restant connecté/e ! 

 

 

 

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Suite à nos propres activités en ligne, l’anxiété générée par « ai-je reçu une réponse à mon mail ? Ma photo a-t-elle été commentée ? » active le réflexe de vérifier régulièrement notre téléphone, et la boucle est bouclée. Au fur et à mesure, les BD parviennent au moyen le plus efficace de nous faire faire ce qu’ils veulent, jusqu’à rendre dépendants les inventeurs de ces algorithmes eux-mêmes.

 

Les GAFAM ont instauré l’ère de l’hypnose numérique : à partir de stimuli artificiels, ils incitent à l’absence de fixation de l’attention, soit, à la distraction. Les pop-ups, les notifications des RS, des jeux en ligne, des applications d’info, nous distraient une première fois de nous-même, de notre travail ou de notre présent. Puis, une fois en ligne, une multitude de publicités, de liens partenaires disséminés partout sur les pages web, ou de « rabbit hole[22] » de vidéos nous distraient une seconde fois, en nous y maintenant.

 

Tout en devançant nos attentes, ils utilisent l’appétence pour le picorage d’infos de notre cerveau pour capter notre attention, émietter notre pensée (réflexion par spasmes) et anesthésier notre esprit critique. L’usage addictif des jeux vidéo (où le fait de tuer est récompensé) ou des sites pornos (avec illusion de transgression) saturent notre temps et notre esprit tout en désactivant nos velléités de révolte. La technologie nous fait oublier l’Être (et d’être) et étouffe toute remise en cause du système. « Liberté, Égalité, Fraternité » devient « Je Joue, je Mate, je Consomme. »

 

 

2)    Créer des problèmes, réaction, puis offrir des solutions :  on crée un problème, la population y réagit, puis devient elle-même demandeuse des mesures qu’on souhaitait lui faire accepter

 

 

Ici, les RS figurent au cœur de la manœuvre. Soit via des algorithmes filtrant toute opinion dissidente (sur FB, par exemple), en enfermant eux-mêmes leurs utilisateurs dans des chambres d’écho médiatiques propices à la naissance de polarisations (Démocrates vs. Républicains aux USA), soit en contribuant à relayer et diffuser une actualité funeste : attentat, manifestation haineuse ou drame. 

 

 

 

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Réaction immédiate en ligne : colère, haine, impuissance, tristesse... Suivie de solutions permettant d’y pallier : par exemple, accroître la surveillance afin de sécuriser la population (ici, on contrôle encore davantage les effets que les causes : solutionnisme[23]). L’arme de la manœuvre : la peur. La solution – prétendument – bienveillante : la surveillance.

 

 

Depuis les attentats du 11 septembre 2001 (et le Patriot Act), chaque nouvel acte terroriste a débouché sur une coopération toujours plus étroite entre les BD et les services de renseignement américains (dont la NSA), ces derniers arrosant les GAFAM de dollars afin de les aider à démanteler toute menace. En conséquence, l’information et son corollaire, le renseignement, ont débordé les frontières (avec optimisation fiscale des BD) pour mener au capitalisme de dataveillance[24] de la planète entière (via l’Internet des objets[25], les métadonnées, les RS,…).

 

La centralisation des données par des industriels – soit, hors des mains démocratiques – écoule graduellement le pouvoir du politique vers les GAFAM : les gouvernements perdent de leur légitimité à sécuriser (algorithmes vs. profilage), informer (l’info est relayée et génétiquement modifiée sur et par les RS), légiférer (Twitter et FB font leur loi), ou faire voter (les sondages d’opinion font grise mise face à la connaissance des intentions de vote des BD). 

 

Les États prennent tout juste conscience de leur asservissement et tentent d’intervenir afin d’enrayer la gouvernementalité algorithmique – qui détrône les lois et règles éthiques étatiques pour leur substituer leur autorégulation algorithmique basée sur les données massives (qui réduisent le possible au probable) plutôt que sur le droit et les normes sociales. C’est un enjeu géopolitique majeur qui met la démocratie en danger…

 

 

3)    La stratégie de la dégradation :  pour faire accepter une mesure inacceptable, il suffit de l’appliquer progressivement, en « dégradé », sur une durée de 10 ans.

 

 

Mesure inacceptable : infléchir nos comportements en les rendant nécessaires mais non obligatoires. Pourquoi l’acceptons-nous ? Ces aiguillonnements et contagions sont si diffus et étalés dans le temps… qu’ils passent inaperçus ! 

 

Facebook utilise pas moins de 52 000 caractéristiques personnelles pour trier et classer ses utilisateurs suivant leur orientation politique, leur origine ethnique ou leurs revenus. Pour ce faire, la plateforme analyse leurs messages, leurs Likes, leurs partages, leurs amis, leurs photos, leurs déplacements... Cela ne lui suffisait pas ? Alors en 2013, FB a scellé un partenariat avec quatre courtiers en données : Acxiom, Epsilon, Datalogix et BlueKai – les deux derniers ayant ensuite été rachetés par Oracle. Ces sociétés, en lui fournissant des données collectées en dehors de sa plateforme, l’aide encore davantage à pister et profiler ses utilisateurs.

 

 

 

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                                                      Algorithme'n'blues 

 

 

Année après année, plus les BD collectaient de données, plus ils étaient aptes, de manière presque subliminale, à diriger notre attention sur certaines choses, à modifier notre environnement informationnel ou physique. De fait ont-ils insensiblement modifié nos opinions, états d’esprit, comportements et même parfois relations avec des « friends » à leur bénéfice : augmenter leurs profits (chiffre d’affaires) et le contrôle (des utilisateurs).

 

L’objectif : en anticipant mieux nos comportements, ils réduisent l’incertitude (les doutes, l’imprévisibilité), « dé-pensent » l’avenir en actualisant ce qui n’existe encore que sur le plan de la virtualité : ils neutralisent les risques en valorisant l’optimisation (chacun doit s’optimiser de manière unique et singulière, être et avoir tout, tout le temps). Puis, une fois l’utilisateur dans son « techno-cocon[26] », les BD maximisent leur « panoptique de Bentham[27] ».

 

 

4)    La stratégie du différé :  faire accepter une décision ‘douloureuse mais nécessaire’ en obtenant l’accord du public dans le présent pour une application dans le futur

 

 

Ici, je ne pense à aucune technique, dans la mesure où les décisions prises par le BD, et si tant est qu’ils nous en informent, se présentent généralement sous un visage bienveillant (hormis WhatsApp récemment, avec pour conséquence une migration de leurs clients sur Telegram). Je pourrais certes avancer qu’Amazon prime diffuse des films sur des pandémies depuis dix ans dans le but de préparer le public à la seule solution possible pour l’endiguer : se faire vacciner ! Mais ce serait prêter des intentions à Amazon que j’ignore et me ferait passer pour complotiste ! Néanmoins, la peur reste le meilleur levier, pour les GAFAM, de nous acculer aux décisions ‘douloureuses mais nécessaires’ (la surveillance), et de diviser pour mieux régner.

 

 

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5)    S’adresser au public comme à des enfants en bas âge  en s’adressant à une personne comme si elle avait 12 ans, elle aura alors probablement la réaction, par suggestibilité, d’un enfant de 12 ans

 

Les GAFAM ne s’adressent pas directement à leurs utilisateurs comme à des enfants en bas âge. Ils les ‘traitent’ comme des enfants bas âge. C’est l’ère de Big Mother[28] : une mère qui ne cherche qu’à nous rendre heureux, en devançantnos désirs (pubs, produits, vidéos qui s’enchainent sur YouTube : une tétine pour ne pas faire d’histoire et s’endormir, repus), en devinant et comprenant nos pensées les plus secrètes (en croisant nos données, en les analysant et en leur donnant du sens), en comblant nos besoins (consuméristes – l’impulsion d’achat est enclenchée en attisant un besoin en suspens dans l’inconscient de l’internaute dont les BD connaissent les intentions profondes – mais également idéologiques, en nous servant un fil d’actualité trafiqué sur les RS), ou en investissant notre esprit connecté (absence de limites). 

 

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Une souveraineté qui nous dirige avec douceur (techno-cocon maternant), persuasion (infantilisante, en nous incitant, sur les RS, à rechercher reconnaissance, amour, protection et réparation, mais aussi en nourrissant notre impatience, nos pulsions et notre illusion de toute-puissance – l’hallucination du désir de Freud) et qui contrôle entièrement des individus consentants (le fiché a créé sa fiche). Qui finit d’enterrer ce qu’incarne traditionnellement le père et l’ordre symbolique (distance, rationalité, autorité) : désymbolisation, perte des repères personnels (en faveur de la guidance algorithmique), réification entre les mains d’une mère toute-puissante.

 

 

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Big Mother nous ôte « le trouble de penser et la peine de vivre[29] ». La simplification à outrance de l’interface de leurs produits les rend accessibles à tous (facilité d’utilisation et navigation intuitive chez Apple, le nudging[30]) et ludiques, tous âges confondus. Avec prédilection évidente pour les digital natives[31], nés avec un smartphone greffé dans la main, à la sur-connexion programmée, hypnotisables à volonté et déjà conditionnés par les tablettes qui les ont babysittés. Big Mother est également une machine à simplifier le réel (conçu et analysé à partir d’un langage binaire, 0 et 1) et le langage (tweeter demande une compression de la pensée en 280 caractères), occasionnant une réduction de la diversité sémantique, et donc une simplification et standardisation de notre vision du monde (la novlangue d’Aldous Huxley). Les BD créent ainsi un consommateur idéal, incapable de se fixer sur rien et dépendant de toutes les pulsions excitées par le marché.

 

 

6)    Faire appel à l’émotionnel plutôt qu’à la réflexion : court-circuiter l’analyse rationnelle, et donc le sens critique des individus, et accéder à l’inconscient pour y implanter des idées, des pulsions, des comportements.

 

 

En 2012, FB s’est livré, dans le plus grand des secrets, à une expérience sur 700 000 internautes (non avertis, donc) intitulée : « Preuve expérimentale d’une contagion émotionnelle à travers les RS. » Pour cela, FB a séparé les internautes en trois groupes. Puis a trafiqué leurs fils d’actualité, chaque groupe étant exposé à des informations soit neutres, soit positives, soit négatives. En analysant les messages postés ensuite par des internautes des trois groupes, les algorithmes ont révélé que les utilisateurs matraqués d’informations positives postaient à leur tour des messages à teneur (et mots) positive (idem pour les autres groupes). FB en a conclu que la tonalité des informations publiées modifie l’état émotionnel des utilisateurs et peut influencer, de fait, leurs comportements… 

 

 

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C’est ainsi que Cambridge Analytica (CA), entreprise britannique de « psychographie[32] » et machine à propagande multi-services, en utilisant 5000 points d’information sur le profil politique et la personnalité de chaque électeur américain, récoltés via les données de 87 millions d’utilisateurs FB vendues à CA par un programmeur et un sondage d’opinion, a pu influencer le vote d’indécis (les « persuadables »), en faveur de D. Trump en 2016 (Projet Alamo[33]), à coups de vidéos, publicités ou débats orientés de manière à les décider (totalitarisme par massmédiatisation oppressive) via leur application présentée comme un projet de recherche universitaire. Jouer avec la psychologie d’une population dans un contexte démocratique est antinomique avec les principes mêmes de la démocratie, qui se voit discréditée et donc piétinée.

 

 

Les BD utilisent également le goût immodéré de notre cerveau pour les shoots émotionnels. Diverses expériences menées ont montré que l’émotion la plus influente en ligne est la colère (excitée par des actions violentes, injustes, aliénantes) : les posts/tweets coléreux, ou excitant la colère, sont davantage relayés et se propagent plus rapidement que n’importe quelle autre publication. Selon une étude[34] datant de 2019, le taux de croissance des commentaires appelant à la violence sur les RS (et flirtant souvent avec la loi de Godwin[35]) est de plus de 60 % par an, tandis que les messages haineux (dont cyber-harcèlement[36] et troll[37]) représentent désormais 10 % des contenus publiés. 

 

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Les RS font leurs choux gras de l’indignation, devenue la manne du capitalisme algorithmique. Passer son temps à s’indigner sur les RS nourrit la matrice : non seulement les émotions générées et la réactivité empêchent toute analyse rationnelle mais encore chaque mot ou Like est ensuite analysé pour enrichir notre identité numérique. Le « like » illustre d’ailleurs parfaitement le merchandising du glossaire de nos sentiments et émotions sur les RS, où les enjeux affectifs et promotionnels sont mélangés : on « aime » qui pense « comme » nous – d’après les deux significations de « like ». 

 

 

7)    Maintenir le public dans l’ignorance et la bêtise : faire en sorte que le public soit incapable de comprendre les technologies et méthodes utilisées pour le contrôler.

 

 

Nous sommes ici en pleine Allégorie de la caverne[38] : des internautes emprisonnés dans la Toile, chacun sous le regard de surveillants algorithmiques qui les maintiennent dans un état de passivité hypnotique et de dépendance, en leur présentant une réalité illusoire de manière à annihiler toute envie de se libérer. Pour cela, les GAFAM recourent tant à des stratégies agnotologiques[39]  (pouvant résulter en théories du complot) qu’à la « post-vérité » (menant à la désinformation – les Fake news).

 

L’agnotologie étudie la stratégie de la production culturelle de l’ignorance en tant que moyen de garder le pouvoir de contrôler les individus. Pour enquêter sur une stratégie agnotologique, il suffit de se demander : pourquoi nous ne savons pas ce que nous ne savons pas alors même qu’une connaissance fiable et attestée est disponible à son sujet ? Cette ignorance est souvent due à une tentative de sape ou mystification (censure ou décrédibilisation scientifique) d’une connaissance fiable existante, visant à maintenir une communauté dans l’ignorance active (ou déni) de la situation.

 

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Dans le cas des BD, leurs secrets bien gardés, peu de gens comprenaient, jusqu’il y a peu, comment étaient conçus et utilisés leurs algorithmes. Par ailleurs, quasi-personne ne prenait la peine de lire les politiques de confidentialité et conditions générales d’utilisation des sites qu’ils visitaient. S’ils avaient lu celles de FB en 2012, ils auraient alors su que l’expérience de contagion émotionnelle à laquelle FB s’est livré cette année-là – relatée plus haut – était absolument conforme à celles-ci... !

 

Il y a quelques années, les internautes, croyant en la neutralité algorithmique, faisaient davantage confiance à l’information relayée sur Internet qu’à celle de la presse écrite. Puis, avec la médiatisation des fake news, le doute s’est instillé, incitant certains à s’attaquer aux connaissances servant de fondement à une information donnée. Ceux-ci, en décuplant le doute (et les controverses), ont été nommés les « marchands de doute[40] ». Souvent taxés de conspirationnisme ou complotisme (tandis qu’ils se perçoivent comme des « anti-moutons de Panurge »), ils le sont effectivement parfois. En témoigne le documentaire Hold up[41] et les procédés fallacieux qui y sont employés pour s’affranchir des faits : le transfert d’autorité[42], empoisonner le puits[43], le Yes set[44], la concaténation[45]. Pour les BD, c’est tout bénéf’ : le doute peut mener à la polarisation, qui leur permet de mieux régner.

 

L’expression « post-vérité » désigne, quant à elle, la circulation d’une information dont la véracité et validité« indiffèrent » – elles ne sont alors ni vérifiées ni décriées. Il peut s’agir d’une circulation virale, sur les RS, d’une information mal sourcée, ou sortie de son contexte, comme d’une reprise au premier degré d’éléments parodiques. Les BD entretiennent alors ces fake news à leur profit en les laissant se propager sans les modérer, amplifiant ainsi la confusion et les contradictions récoltées à travers les réseaux[46], sources de débats sans fin, de violence et de colère. Exemple : plus on nous parle de changement climatique, plus cela nous divise, et plus les BD maintiennent leur pouvoir de contrôle sur nous. C’est un modèle de gestion par désinformation et biais en faveur des fake news.

 

 

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8)    Encourager le public à se complaire dans la médiocrité : encourager le public à trouver « cool » le fait d’être bête, vulgaire et inculte 

 

 

Le pitch du film Idiocracy, de Mike Judge ? Joe Bowers, l’Américain moyen par excellence, est choisi par le Pentagone comme cobaye d’un programme d’hibernation qui va mal tourner. Il se réveille 500 ans plus tard et découvre que le niveau intellectuel de l’espèce humaine a radicalement baissé et qu’il est l’homme le plus brillant sur la planète... 

 

Anticipation prophétique de l’implémentation des BD ? Leur chiffre d’affaire dépendant du temps que nous passons devant un écran (qui devient également l’étalon de notre valeur), ils détournent stratégiquement notre attention de ce qui serait congruent à nos objectifs, à l’actualisation de nos valeurs, à notre condition d’Être mortel : du temps que nous consacrerions à une vie riche de sens.

 

 

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Ce nivellement par le bas, qui immerge le monde dans un temps présent continu, fait d’une succession d’instants de consommation, est enfanté par la capture (publicité, pop-ups, bouche-à-oreille sur les RS) et l’immersion de l’esprit humain dans la civilisation de l’Entertainment (la « non-culture », Unkultur nietzschéenne). Une offre de divertissements pléthorique, dont la majeure partie de qualité moyenne à médiocre (culture de masse). Où le médium de communication (Netflix, YouTube,…), qui effectue le travail de médiation entre un contenu et sa cible, en vient à primer sur son contenu (cibler et capter l’attention prime sur la production) : « Le message, c’est le médium[47]. »

 

Sur Netflix, les séries, aujourd’hui si plébiscitées (1 personne sur 5 a testé un Service de Vidéo à la Demande pour la première fois durant le confinement, qui a lui-même occasionné de nouvelles habitudes d’achats en ligne e-commerce[48]), défilent d’un épisode à l’autre, grâce à l’effet Zeigarnik (tant que l’on n’a pas fini une chose, on ressent un sentiment d’incomplétude), emprisonnant temps et cerveau hors de la réalité (captologie), sur laquelle nous n’avons plus la même réflexivité. Nous finissons alors par adhérer à la réalité à laquelle les BD nous soumettent (les ombres projetées sur les murs de la caverne), aspirés par/dans la Matrice. Ainsi, 56 % des prosommateurs[49] sont-ils prêts à sacrifier leur sommeil pour regarder une série qu’ils aiment[50]. De même que les jeux vidéo addictifs[51] – parmi lesquels les « univers persistants[52] », une réalité virtuelle à laquelle on ne peut jouer que sous forme d’avatars – obsèdent l’esprit des enfants, même en classe. La réalité virtuelle finira par pleinement nous absorber dans un univers fantasmé.

 

 

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Le nivellement par le bas est également orchestré par les algorithmes des RS qui décident de nos interactions humaines par affinités d’opinions et de croyances. Or, sans argument contradictoire, nous flirtons avec la stérilité intellectuelle. Nous rencontrons le même type de processus avec une grande partie des Moocs[53] (confirmant, en apparence, l’accès à un accroissement de nos connaissances valorisé par les BD). Ces maitres, pour la plupart numériques, tuent dans l’œuf toute confrontation intellectuelle tout en automatisant le contrôle des connaissances. Ils ne répondent ainsi pas à l’objectif de formation continue permettant de s’adapter à l’évolution du marché du travail, mais à la nécessité, pour les BD, de modeler des individus optimisés pour l’économie et la communication numériques : ici, les apprenants sont les « produits » des Moocs.

 

 

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Le comble de la société de la médiocrité ? Lorsque des utilisateurs passifs deviennent, par la magie lexicale et sémantique numérique, actifs. Exemple avec « followeur ». « Follow » (suivre) donne l’illusion de devenir acteur avec le suffixe « eur », qui le promeut au statut d’agent. Nb : dans les faits, en « followant » un compte (IG, Twitter…), on devient bel et bien acteur de la grande collecte de données personnelles, tout en participant au système promotionnel digital.

 

 

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Pas étonnant qu’en étant ainsi assimilés à des produits décérébrés-passivement-actifs, des algorithmes nous demandent désormais, sur certains sites, de leur prouver… que nous ne sommes pas des robots !

 

 

9)    Remplacer la révolte par la culpabilité : faire croire à l’individu que faute d’intelligence, capacités ou efforts, il est seul responsable de son malheur. De fait, plutôt que de se révolter contre le système (inhibition de l’action), il se dévalue

 

 

Les RS, dont la liste d’amis/contacts constitue le principal outil de navigation, sont devenus un vecteur idéal pour cette stratégie de manipulation. Elle se base sur trois composantes faisant caisse de résonance – chacune d’elle étant renforcée par un algorithme idoine – et amplifiées par le mouvement de développement personnel (devenir une meilleure version de soi-même dépend de soi) : notre besoin de validation sociale, l’exhibitionnisme et le voyeurisme, et le désir mimétique(qui évoque moins les qualités d’un objet désiré que le rapport à l’Autre). 

 

Nous avons l’impératif biologique d’appartenir à un groupe[54]. Notre appartenance à celui-ci étant confirmée par notre validation sociale en son sein, nous nous préoccupons donc de savoir ce que les membres de notre tribu pensent de nous. Mais a-t-on évolué pour être validé/e toutes les cinq minutes par des centaines de personnes ? Les « like » génèrent l’illusion d’une valeur ou popularité aussi fragile que factice (être connu sur les RS, c’est comme être milliardaire au monopoly !). Du court terme laissant place à de la vacuité, qui pousse à recommencer. 

 

 

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Les réseaux sociaux exploitent cette vulnérabilité psychologique en créant des « boucles de rétroaction de validation », systèmes qui s’auto-alimentent en offrant des gratifications instantanées. Les algorithmes étant optimisés pour afficher des publications visant notre réactivité adhésive, notre mise en contact avec les autres est biaisée, et notre inclusion sociale optimisée par une forme d’entre-soi occasionnant une dépendance proportionnelle à notre besoin de validation.

 

Les serial-posteurs de textes (bloggeurs compris), photos (selfiiiiies !), vidéos, recherchent partage sociale, reconnaissance ou affiliation. Ceci donne souvent lieu à une communication impudique « privée-publique », une modalité de l’expression de soi avec confusion des sphères : une forme d’exhibitionnisme. La mise en récit/image de soi s’articule autour d’une idée de la perfection (plastique, humour, opinion transgressive, révélation émotionnelle d’ordre privé) afin d’être récompensé à court terme par des « cœurs », des « like » et des commentaires partisans de leurs "followeurs", invités au voyeurisme de l’intensification du rapport à soi du posteur. Chaque post, mot, like, sont ensuite autant de signes d’identité collectés sur la vie relationnelle des individus, et intégrés dans l’algorithme visant à modifier notre fil d’actualités dans le sens de nos affiliations. 

 

 

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Sur les RS, la prétendue transparence (narcissisme exhibitionniste) avec laquelle certains se « représentent » peut activer, chez l’autre, un désir mimétique. En s’exposant radieux, enfants angéliques à leurs côtés, à l’autre bout du monde, ils ‘représentent’ les ingrédients du rêve néolibéral (pouvoir, beauté, argent), suscitant, chez le voyeur, un possible « va-et-vient entre orgueil et honte[55] ». Cela devient, pour ce dernier, un horizon d’inaccessibilité et de remise en question (pourquoi ne puis-je offrir de telles vacances à mes enfants ?), avec possible névrose de classe.

 

 

 

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Ce sur quoi joue l’un des algorithmes d’IG, en filtrant davantage les personnes opulentes que les minces, ou bien encore les filtres de Snapchat et de FaceApp, qui nous embellissent et rajeunissent de 20 ans : s’il y a majoritairement du beau, on finit par se comparer défavorablement. On s’auto-dévalue et l’on culpabilise de ne se voir aussi beau/belle en ce miroir. Cela engendre un état dépressif, dont l’un des effets est l’inhibition de l’action. Les posteurs, quant à eux, dissimulent souvent l’authenticité de leur vie pour s’envelopper d’un accord collectif (de like appréciatifs), ce qui a également pour effet de réprimer l’action (la validation ne poussant pas à la remise en question mais à la recherche de « toujours plus » de validation). 

 

 

 

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Par souci de l’image que l’on va donner, chacun devient, par culpabilité ou peur de ne pas être dans la norme (adapté), son propre censeur[56]. On ne s’autorise à dire la (sa) vérité, que lorsqu’on a une estime de soi ‘sociale’ suffisante, une relation aux autres légitimée, un sentiment de compétence lié à nos expériences. Or, la perfection exhibée peut contribuer à les saboter, et chez les plus fragiles, à creuser. Il peut en découler des mots révoltés faute d’action, avec des personnes qui éructent leur mal-être et agressent le premier virtuellement croisé (troll, stalker[57]). En période de crise sanitaire, nos libertés personnelles considérablement réduites, en détresse psychologique, parfois précipités dans la précarité, et globalement, l’impuissance, ces personnes deviennent des bombes à retardement.

 

 

 

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10) Connaître les individus mieux qu’ils ne se connaissent eux-mêmes : grâce aux algorithmes, les BD connaissent mieux l’individu moyen que lui-même = ils ont un contrôle et pouvoir plus importants sur les individus que les individus eux-mêmes

 

De l’autre côté de notre écran, c’est comme si les BD avaient une poupée vaudou à notre image, articulée par des graphiques surveillant et enregistrant avec soin ce que l’on fait, ce que l’on regarde et durant combien de temps. La durée de l’intérêt pour une image, une vidéo ou une musique est modélisée et analysée pour déterminer notre état d’esprit actuel. Ainsi, l’algorithme d’Apple (ITunes) analyse-t-il ses clients d’après leurs goûts musicaux, déduit-il leur humeur à partir de leur sélection musicale du jour, puis leur propose-t-il une sélection correspondant à leurs goûts et humeur.

 

 

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De même savent-ils qui est seul, déprimé, ce que l’on fait le soir, si l’on est introverti, extraverti, quelles sont nos névroses. Les réseaux sociaux, sites de e-commerce, caméras de sécurité et objets connectés[58] sont les parfaits alliés de la surveillance globale : les inférences[59]. Ils ont plus d’informations sur nous que personne n’en a jamais détenu dans toute l’histoire de l’humanité et s’en servent pour modéliser nos comportements (chacun de nos clics en ligne permettant d’élaborer un modèle de plus en plus précis) et prédire nos actions. Qui a le meilleur modèle l’emporte. « Je sais où vous allez, quelles vidéos vous allez regarder, quelles émotions vous feront réagir et quelles pubs vont vous toucher pour vous donner envie ! » 

 

Ainsi, d’après Y.N. Harari[60], les liseuses, à partir d’un logiciel de reconnaissance des visages et de capteurs biométriques, peuvent déterminer notre catégorie littéraire préférée, les mots que nous goûtons, comment certaines phrases nous animent ou nous interrogent (nos eros et ethos) : ce sont désormais les livres qui nous lisent pendant que nous les lisons… 

 

 

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De là à imaginer que les algorithmes nous connaissent mieux que nous-même, il n’y a qu’un pas. Franchi dans le film Selfie[61], satire humoristico-amère de l’univers technologique. L’un des protagonistes, en renseignant ses goûts, habitudes et préférences d’achats sur un site de E-commerce, se voit suggérer des produits. Une canne à pêche alors qu’il ne pêche pas ? Il l’achète et part pêcher. Sa mère l’appelle et il le lui raconte. « Oh, c’est drôle, ton père défunt t’emmenait pêcher petit et tu adorais ça ! ». Le protagoniste s’interroge alors : « le site aurait-il accès à mes désirs inconscients ? » Dès lors, il accorde à l’enseigne une confiance aveugle. Jusqu’à ce que celle-ci lui suggère du viagra. D’abord interloqué, il se rend vite compte qu’il ne parvient plus à manifester son désir à sa femme. S’ensuivent trois semaines de résistance. Jusqu’à déposer les armes et à cliquer pour en acheter. Et à peine a-t-il cliqué que le voilà de nouveau pourvu de toute sa virilité !

 

Le film démontre bien que nous pourrions aisément laisser la main à des algorithmes capables de mieux nous définir que nous-mêmes, devenant ainsi des êtres parfaitement prédictibles, produit et consommateur idylliques, zombis hypnotisés obéissant aux pops-up galvanisant nos pulsions. En bref, faire de nous des objets béhaviorisés avec, pour but ultime, de nous faire fusionner avec la machine : nous deviendrons alors tout à la fois contrôlés et immortels.

 

Nous sommes asservis par les BD, œil tout puissant sur lequel, pour sa part, aucun regard ne peut se porter. Apple et Google n’entrouvrent en effet leurs portes qu’aux seuls journalistes montrant patte blanche et commettant des articles obligeants. Les BD tiennent à s’assurer qu’il n’y ait plus de Snowden[62] pour ouvrir la boite noire et en libérer des secrets inavouables… 

 

Ainsi nous dirigeons-nous vers une société où la norme devient la transparence, et où l’on s’exhibe impunément puisque l’on n’a rien à cacher (on confond ici les notions d’intimité et d’innocence). L’ancien président de Google, Éric Schmidt, considère d’ailleurs que ne se soucient de la protection de leurs données personnelles que ceux qui ont des choses à se reprocher ! Dès lors, les utilisateurs acceptent-ils avec fatalité que le seul moyen de les rendre honnêtes, soit d’être surveillés 24h/24.

 

Néanmoins, la modélisation de nos comportements en vue de prédire nos actions amène à juger les individus à partir de leurs pensées plutôt que d’après leurs actes. Ainsi ne surveille-t-on plus l’individu pour ce qu’il « fait » mais pour ce qu’il « est » (et « pourrait » faire) : une sécurisation prédictive qui vise à stigmatiser. Bienvenue dans l’univers de la transparence et de l’honnêteté totalitaires aux conséquences personnelles et existentielles pléthoriques, ci-dessous répertoriées.

 

 

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III-       Diagnostic dimensionnel

 

 

Chercheurs, psys, neurologues, sociologues, philosophes, sont unanimes à propos du fait que l’usage intensif d’Internet (applications, jeux, porno, RS,…) contribuerait à nous aliéner, dans toutes nos dimensions. Voici quelques-uns de ses effets observés sur les plans physique, psychique et noétique.

 

 

1)    Bios (soma)

 

 

*  Sur-activation de la dopamine, hormone du circuit de la réussite et récompense dans le cerveau

*  Maladie du scrolling (nausée générée par le fait de faire défiler l’écran)

 

 

 

 

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*  Flux d’information ininterrompu qui malmène notre esprit biologique. Le cerveau, sur-stimulé par la simultanéité, superposition, fragmentation, ne parvient plus à absorber les informations : au-delà de 3 actions simultanées, le cerveau patine et additionne les erreurs

*  Le cortex vieillit et diminue plus rapidement chez les enfants utilisant les écrans avec excès 

*  Modification physique de nos circuits cérébraux : concentration atrophiée = troubles de l’attention

*  La lecture sur liseuse n’active pas les mêmes zones dans notre cerveau qu’un livre = cela agit sur la structure même de notre pensée

*  La cartographie et chronologie nous aidaient à structurer notre pensée. En déléguant certaines tâches, notre cerveau désapprend = atrophie de l’hippocampe (où se forment les souvenirs et le sens de l’orientation), on devient amnésique (le cerveau ne retient plus l’info car l’effort est superflu)

*  Plus de 4h/semaine de porno = Accoutumance comparable aux effets des drogues dures et détérioration de l’activité cérébrale dans la zone liée au processus de décision

*  Important déficit de matière grise dans la zone qui traite les émotions = altération corrélée à la dépression et à des bouffées d’anxiété

*  Vaincre le sommeil = état d’insomnie. Dormir devient une anomalie et l’hyperactivité, la norme

* Avec, pourtant, une dégradation du niveau d’activité physique en faveur d’une sédentarité 

 

 

2)    Psyché

 

 

L’article « Les tablettes, à éloigner des enfants[63] », paru dans Le Monde le 8 sept 2015, sonne l’alerte d’un usage excessif des NTIC[64] chez les enfants. Outre les troubles de l’attention, il retarde l’émergence du langage, entrave la construction du principe de causalité et des premières notions de temps, altère le développement de la motricité fine et globale et nuit à une socialisation adaptée. Et, plus globalement, chez l’adulte comme l’enfant, engendre :

 

 

a)    Modification de la réflexion, esprit critique et imagination

 

 

*  Les enfants étant shootés par des décharges d’excitation émotionnelle = ils ne supportent plus le temps long de l’apprentissage favorable à la structuration de la pensée et à l’esprit critique

*  Usage d’internet (zapping + superposition des sollicitations) = fragilise notre capacité à acquérir des connaissances profondes, mener des analyses inductives, produire de l’esprit critique et ressentir

*  Pensées non-volontaires = frein et réduction de la réflexion et esprit critique

* Réduction de la diversité sémantique (+ emploi de l’emoji, nouveau mode d’expression et code sémiologique) = Appauvrissement du langage = Simplification et standardisation de la pensée et de notre vision du monde 

*  Jeux vidéo comme porno = fantasme ou réalité virtuelle prêt/e-à-porter = effondre davantage l’imaginaire face à un empilement d’images dépourvu de sens

  

 

b)    Modification de notre façon de vivre 

 

 

*  Addiction : le syndrome « no life » : tout le temps est passé en ligne = plus aucune vie réelle

*  L’aliénation du branchement de l’homo numericusSolitude : tous ensemble mais seuls = fragilité psychique rendant plus poreux à la suggestibilité

*  L’assuétude, envie irrépressible de se connecter ou consommer malgré l’envie de s’y soustraire

*  Individualisme sans liberté, où l’ennui et l’impatience d’y remédier = perte de perception du réel

*  Peur d’échouer, de se dévoiler (d’exposer nos manques, failles, vulnérabilité), de s’exprimer (difficulté à exprimer sa pensée), d’être observé (de révéler son malaise intérieur) = liens inauthentiques

  

 

c)     Modification de notre manière de (nous) communiquer

 

 

*  Une forme d’identité nouvelle née des RS : notre identité civile se double d’une identité numérique = démultiplication de notre présence, de nos contacts, dans un rêve de partage sans entrave

 

 

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*  La haine, les rumeurs, les calomnies nous poussent à réagir (entre aveuglement, bouleversement et sidération), avec brutalisation des rapports entre personnes, enrobée d’une insécurité linguistique : chacun campe sur ses positions, fin du compromis. Par ailleurs, la colère des minorités actives peut enfin se faire entendre sur les RS, avec parfois passage à la violence IRL. 

*  L’illusion de connecter sur le plan émotionnel. On passe de la vraie vie à des messages écrits avec perte de la communication visuelle et sonore -> mésinterprétations et monologues plus que des échanges. Et plus on communique virtuellement, moins on ressent le besoin de se voir (en échangeant durant la journée, on s’est déjà senti proche de l’autre mentalement). On perd ainsi de notre capacité à se connecter face-à-face.

*  Alexithymie : qui est entre autres un déficit de l’aptitude à identifier et verbaliser ses émotions

*  Le lien virtualisé peut nous déconnecter de l’humanité de l’autre = chacun pour soi = changement de nos comportements amoureux (« je prends, je consomme, je jette », ou la surenchère permanente, ou bien encore ne plus parvenir à choisir parmi tant d’options) = Je/cela vs. Je/tu (Martin Buber) et destruction de la transindividuation de référence remplacée par la transindividuation du marketing (identification à une marque ou à une pratique) (Bernard Stiegler).

 

 

d)    Appauvrissement de la subjectivité

 

 

*  Les quatre typologies Frankliennes, marqueurs de la névrose collective, sont ici représentées : éphémère (le sujet désespère de lui-même//désir mimétique), fataliste (désespère de l’état du monde//se plonge dans un monde imaginaire), pensée collective (s’identifie à l’opinion dominante//appauvrissement de la subjectivité), fanatisme (identification à une opinion extrémiste//violence, embrigadement)

*  La solitude derrière nos écrans est stérile car l’oubli de soi-même n’offre aucune auto-distanciation * On se perd dans le regard des autres, en quête d’une popularité artificielle, au lieu de prendre le risque de la lucidité et de se regarder en face

*  Dictature du « on », on chute dans l’ontique : conformisme

*  L’information customisée : sans altérité, sans confrontation à l’autre, impossible d’évoluer 

*  Imperméabilité aux points de vue contraires : fin de l’objectivité et de la constructivité

 

 

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e)     Société traumatogène : l’I-gnoble

 

 

*  Épidémie de burn-out des hyperconnectés. Pour y remédier, les BD ont inventé une « nouvelle religion » : le Wisdom 2.0. Son objectif : faire en sorte de vivre connectés les uns aux autres grâce à la technologie d’une manière qui soit bénéfique à notre bien-être !

 

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* Angoisse, fragilité, dépression, avec psychopathologies croissantes (paranoïa, névroses obsessionnelles) : on se rapproche de la psychose (atteinte de la réalité + image narcissique du « moi » altérée, fragmentée) + clivage et polarisation

*  Société traumatogène = souffrance des individus démontrant une destructivité

 

 

3)    Noésis

 

 

*  Civilisation de l’ennui et de la perte de perception du réel et des repères = vide existentiel.

*  Sur les RS : contrôle de notre image et estime de soi. L’idée de la perfection est amalgamée à des valeurs et à la vérité : les ados américains demandent désormais aux chirurgiens esthétiques de ressembler aux filtres de Snaptchat, syndrome baptisé : la dysmorphie Snapchat. Dénégation de qui l’on est pour ressembler à ce que l’on souhaite représenter/être (culpabilité existentielle). 

 

 

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*  Le choix des possibles (les options) auquel nous avons accès augmente sans cesse tandis que nos capacités d’attention et d’absorption stagnent ou diminuent = frustration et insatisfaction de ne pas réussir à tout faire et de mal faire ce que l’on fait. 

*  Besoin d’une validation sociale toutes les 5 mn : réussite vs. accomplissement

*  Perte de contrôle sur qui nous sommes et ce que nous pensons

*  Détournement du désir et de la création en pulsion d’achat

*  Modification – diffuse et imperceptible – de la culture

*  Capacité à faire face atrophiée avec illusion de contrôler

*  Un bonheur sans idéal, sans effort, sans souffrance et sans horizon (Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra) = Noodynamique atrophiée 

*  La standardisation du monde, vidé de son imprévisibilité = déficit d’un horizon de sens

*  En sur-occupant notre esprit connecté, Big Mother nous détourne de la plus angoissante des pensées, celle relative à notre propre mort, et de la question « quel sens donner à sa vie ? » 

 

 

 

IV – Les algorithmes, une menace existentielle

 

 

« Tout objet technologique est pharmacologique : le remède et le poison » (Bernard Stiegler), c’est-à-dire qu’il peut aussi bien être un instrument d’émancipation (le web est un dispositif associé permettant la participation) que d’aliénation (c’est aussi un système industriel qui dépossède les internautes de leurs données – vie intérieure – et les soumet à un marketing ciblé par les algorithmes).

 

Nous allons ici nous concentrer sur l’instrument d’aliénation que constituent les algorithmes des GAFAM en ce qu’ils modifient notre rapport : au temps, aux dilemmes moraux, au hasard, à la liberté, aux relations (à soi et aux autres), à notre vie, à nos objectifs, au sens de notre vie. Conduisant à un déficit des horizons de sens, une perte de repères et à chosifier leurs utilisateurs (névrose noogène et sociogène), les conditionnant au conformisme sous l’égide d’une dictature invisible.

 

 

1)    Perte de ce qui est constitutif de notre humanité : critique de la raison numérique

 

 

Numériser, c’est convertir le réel en un monde binaire fait de 0 et de 1, à partir de la fouille d’une multitude de données (data mining) générées par des algorithmes conçus pour identifier des motifs d’intérêts de recherche afin d’en extraire de l’information ou de la connaissance. La traduction de l’intelligibilité du monde réel découle donc de corrélations calculées par des algorithmes dénués de toute dimension sensible, où le raisonnement aléatoire disparaît au profit d’une vérité numérique enfermée dans des statistiques éliminant hasard et imprévisibilité.

 

On conçoit ainsi aisément que mathématiser le comportement humain pour décrypter ses intentions (d’action, d’achat, de comportement) finisse par le déshumaniser : le propre de l’homme étant l’indétermination qui le pousse à la conscientisation et réflexivité, l’imprévu, qui le rend créatif et adaptatif, le goût du risque, qui stimule son auto-transcendance, le rêve, qui le pousse à se projeter, le conflit, qui lui donne l’occasion de tester ses limites, sa résistance et de se révéler (il n’y a pas de construction de soi sans jamais dire « non »). Sans incertitude, perplexité, flou, il n’y a plus de choix à opérer (exit l’autonomie de la décision humaine) ni de responsabilité à porter. 

 

Or, en déléguant un toujours plus grand nombre de tâches complexes aux ordinateurs, les machines décident de plus en plus souvent à notre place. Voyons l’exemple de « l’expérience de pensée de Morale Machine[65] ». Un panel de personnes est sélectionné à qui l’on demande : doit-on tuer une femme enceinte ou deux enfants qui traversent ? Puis, on fait des statistiques à partir de leurs réponses et l’on intègre ces données dans des algorithmes en préemptant l’organisation sociale la plus juste et la mieux acceptée socialement.

 

En programmant des valeurs morales dans Morale machine, les dispositifs auxquels nous faisons confiance ne se posent alors plus de question en situation, puisqu’ils ont déjà un ordre de préséance des valeurs programmé afin de résoudre toute situation imprévisible de la manière la plus juste possible : fin des dilemmes, qui ont été anticipés et neutralisés, et des scrupules, qui n’ont plus d’espace pour surgir. La sécurisation prédictive (surveillance généralisée) fonctionne de la même façon et peut finir par stigmatiser toute une population.

 

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Le chiffre écarte la notion de sens et nous impose sa norme. Jusqu’à coter la valeur de l’être humain via des notations chiffrées (sur les sites de rencontre comme de e-commerce, où l’on doit évaluer la « prestation » du livreur, l’efficacité du site à nous contenter, des personnes rencontrées à matcher). Le tout, renforcé par Big Mother, qui nous incite à la paresse intellectuelle, à atrophier notre curiosité. L’inattendu écarté, nos convictions ne sont plus ébranlées et l’information qui nous est présentée formatée ne nous permet plus d’en extraire des connaissances et de la sagesse, et donc de nous faire bifurquer sur notre trajectoire. Le confort normatif contre notre liberté. « L’angoisse est le vertige de la liberté », Kierkegaard.

 

 

2)    Technologie et liberté : « L’espion qui m’aimait » – pour lui !

 

 

La promesse d’une vie ‘meilleure’, faite par les BD, s’accompagne d’un prix à payer sur la vie privée. La transparence engagée s’apparente à une forme d’inquisition qui finit par remettre en question nos libertés individuelles et notre droit à une vie privée. Des notions superflues pour le chef évangéliste de Google, Vinton Cerf, qui considère « la vie privée comme une anomalie[66] » et pour lequel vivre sans intimité « n’a rien de neuf ni de bien inquiétant » ! Or, la vie privée est une respiration indispensable, qui ne doit être apparentée à ce qu’on dissimule mais à de « l’espace non public » dont nous avons besoin pour ensuite jouer notre rôle sur l’agora : elle est vitale socialement.

 

Et ce n’est pas tout car l’ex-PDG de Google, Eric Schmidt, affirmait en 2007, dans un article du Financial Time : « Nous allons devenir de plus en plus forts en matière de personnalisation. L’objectif, c’est que les utilisateurs de Google puissent en venir à poser une question comme ‘que dois-je faire à présent[67] ?’ » Ce dont nous prenons le chemin avec des utilisateurs qui ont concédé aux BD le pouvoir de lire dans leurs songes, prévoir leur avenir et les rendre dépendants d’eux à tous les égards – jusqu’à les destituer du pouvoir même de décider pour eux-mêmes.

 

En effet, nous ne sommes assaillis et pillés que parce que nous avons été d’intelligence avec eux. « Ils déposeront leur liberté à nos pieds et nous diront : faites de nous vos esclaves, mais nourrissez-nous », Dostoïevski, Les frères karamazov. Plus problématique encore, bien que désormais informés de leurs procédés, certains persistent dans le déni (ce n’est pas grand-chose !), invoquent la fatalité (à quoi bon, ils savent déjà tout de nous !) ou pensent pouvoir préserver leurs libre arbitre et liberté quoi qu’il advienne (pourtant, les stratégies de manipulation ne nous infléchissent-elles pas à notre insu ?).

 

 

 

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Heidegger, déjà, critiquait la technique en tant qu’artifice et volonté de puissance humains nous faisant oublier l’Être, et réduisant l’être humain à la réification. Tandis qu’Aldous Huxley a prophétisé : « La technologie et la science ont remplacé la liberté et Dieu. La vie humaine, anesthésiée, est une suite de satisfactions, […] les émotions et les sentiments ont été remplacés par des sensations et des instincts programmés[68]. » 

 

Nous sommes désormais lancés dans une course serrée entre utopie (une réalité irréelle permettant des usages fantastiques) et dystopie (enchantements fallacieux menant à saper la démocratie et la liberté, avec un coût écologique énorme – chaque centre de données consomme à lui seul l’équivalent en électricité d’une ville de 200 000 habitants[69]). Avec, en son cœur, un de ses horizons d’attente : au-delà de son aptitude même à échapper aux stratégies coercitives engagées, l’utilisateur compulsif, dans un monde jugé si insécurisant, souhaite-t-il ‘réellement’ préserver sa liberté de conscience et la responsabilité de décider du sens de sa vie par lui-même, ou ne pas chercher à lutter, entre possible souffrance dimensionnelle (anesthésiant la capacité à créer et agir) et cocon technologique (noyant la réflexion introspective mais si divertissant et pourvoyeur d’une sécurité aussi factice que totalitaire) ?

 

 

3)    Notre rapport au temps

 

a)    Le temps immédiat : un emprisonnement temporel auto-suffisant

 

Les BD ont fondu les temps de travail (télétravail), de repos et de loisirs en un seul temps, un emprisonnement temporel dont le seul horizon est l’instant, et qui se résume en cette formule nietzschéenne : « L’instant, il est là, et hop, le voilà parti ; un néant le précède, un néant lui succède. » Le court terme, à l’instar des like drainés par un post, laisse ensuite davantage de vacuité. Alors on s’agite et on cherche à s’extraire de ce temps irréversible en s’immergeant dans une succession d’instants de divertissements dévolus à la consommation : jeux, RS, films, articles, produits. C’est « un présent qui veut être son propre horizon, qui se veut auto-suffisant. Dans un sens, ce présent comporte à la fois tout le passé et tout le futur dont il a besoin. Il a aussi cette caractéristique d’être une espèce de présent éternel, disons plutôt perpétuel[70] » : soit, le présentisme[71].

 

Or notre cerveau fonctionne selon l’alternance jour/nuit, inscrite dans notre programme biologique qui se voit considérablement malmené, tout comme le réel est discontinu : « Il y a un moment pour tout et un temps pour toute activité sous le ciel[72] ». Mais plus encore, « le temps ne se présente jamais à l’expérience comme un espace vide et présent, mais comme une réserve de possibilités d’existence qui nous sont proposées et que nous sommes appelés à saisir[73] ». Ce présent linéaire éternel nous prive ainsi d’une relation biologique et humaine au temps, générant de la confusion et l’inaptitude à hiérarchiser les événements : cet enchainement de divertissements ne laisse aucun espace au temps long de l’auto-distanciation et de la réflexivité. Le mouvement devient tout, le but, sans valeur. 

 

 

b)    Être conscient, c’est se souvenir

 

Nous externalisons notre mémoire sur disque dur : son contenu est le même, mais n’est plus contextualisé. Ce n’est donc déjà plus la même mémoire, et donc réellement la nôtre. D’autant qu’être conscient, d’après Bergson, c’est se souvenir d’une perception, de ressentis de la réalité vécue. Cela altère donc également notre imagination, qui nous permet d’anticiper comme de métaboliser ce que nous avons vécu. Enfin, le cloud conserve tout alors que nous avons besoin de ne garder que le nécessaire pour contredire l’expérience passée. Et quid du droit à l’oubli ?

 

 

c)     Ô temps ! suspends ton vol…

 

L’un des objectifs des BD est de stopper la course du temps : non seulement pour nous maintenir en ligne en un temps éternel (d’après une temporalité accélérée, diffusant les informations et la communication quasi-instantanément, ce qui est vécu par l’utilisateur comme un « gain de temps »), mais également en perfectionnant l’être humain afin de reléguer la maladie et la vieillesse à de simples problèmes techniques (vs. métaphysiques). D’allonger la vie pour procurer une illusion d’immortalité et ainsi, d’éclipser les peurs de mourir et de souffrir. Or, en perdant la conscience de notre finitude, nous perdrons l’une des plus grandes sources de progrès dans le monde ainsi que la motivation individuelle à nous presser pour actualiser nos raisons de vivre

 

« D’ici les deux prochaines générations, la biotechnologie[74] nous donnera les outils qui nous permettront d’accomplir ce que les spécialistes d’ingénierie sociale n’ont pas réussi à faire. À ce stade, nous en aurons définitivement terminé avec l’histoire humaine parce que nous aurons aboli les êtres humains en tant que tels. Alors commencera une histoire au-delà de l’humain[75]. » Mais alors quid de la capacité à pardonner et oublier ? Quid du sentiment de solidarité vis-à-vis des générations futures (environnement, entre autres) ? L’Histoire ne compte plus, le récit se désagrège

 

 

4)    Notre rapport à l’espace

 

 

a)    « Internet pousse les murs tout en enlevant le plancher » Dominique Cardon 

 

Nous avons connu un bouleversement sans précédent dans notre relation à l’espace lorsque l’écrit (qui se lisait sur papier encré), le son (qui s’écoutait sur des vinyles), l’image (qui étaient admirée au musée ou conservée sur rubans de cellulose) ont été digitalisés : la dématérialisation. Il y a alors eu une rupture de l’identification entre types d’information et supports physiques, avec d’un côté l’abolition des limites géographiques et, de l’autre, une influence (par le medium technologique) sur le contenu même des messages conduisant, à son tour, à un certain mode d’être-au-monde.

 

Tout repose désormais sur un support chiffré, transportable, duplicable et stockable à l’infini, dans une entité abstraite et invisible, le cloud. Et il suffit d’un écran, d’un clavier et d’une souris (ou smartphone) pour y avoir accès de manière illimitée. Nous avons intégré l’ère de la connexion permanente, modifiant notre rapport à l’espace-temps et la perception du monde qui nous entoure. 

 

 

b)    Le rêve d’ubiquité : être ici et ailleurs simultanément

 

Le présent lui-même n’a plus de sens que sous forme pixellisée. On stoppe la course du temps en immortalisant le décor et l’instant, auxquels nous-même n’avons pas été présent. De même remplit-on chaque moment creux (file d’attente etc.), les objets connectés nous maintenant dans le marché tout en nous délogeant du réel. Nous ne sommes plus présents nulle part, ce qui crée également une compétition entre temps d’écran et temps de vie familiale, celle-ci, lentement, se disloquant.

 

 

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c)     La communication au détriment de la transmission ?

 

Lorsque nous communiquons avec les autres en ligne (chat, SMS), nous sommes déconnectés de leur dimension physique (dé-corporation) tout partageant un sentiment de vélocité (synchronie). Malgré l’illusion de connecter sur le plan émotionnel, on perd néanmoins en lien affectif à l’autre (on s’en rend tout particulièrement compte avec la pandémie, où l’autre manque dans sa dimension physique enracinée dans la matérialité), déshumanisant la transmission et la personne à laquelle elle s’adresse. Par ailleurs, nous pouvons envoyer un email ou SMS sans nous préoccuper de l’espace/temps de notre interlocuteur : ce qui compte étant que notre message lui parvienne. L’autre devient un objet à la merci de nos besoins (je/cela) au détriment de l’échange, du partage et du lien (je/tu).

 

 

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Enfin, nous pouvons, en quelques clics, naviguer de site en site, de ville en ville (Google Earth permet de visiter des villes en trois dimensions) : les lois de la physique sont bouleversées tout en générant une confusion entre espace matériel et virtuel. On retrouve cette même confusion dans la mise en abyme des sites web, qui, en un clic, nous font passer d’un univers à un autre. Ceci produit rapidement une forme de désorientation Vs. la stabilité de notre réalité environnante. 

 

 

d)    Notre corps et son environnement

 

Ce nouvel espace peut également impliquer une absence prolongée d’activité physique – même s’il existe une dissociation entre activité diurne (incluant sport ou non) et nocturne (on se gave de séries ou de jeux vidéo le soir venu), ce concept ayant été baptisé de « mollasson actif ». Outre les réels dangers de la sédentarité, notre corps n’est plus non plus en contact avec les repères sensoriels délivrés par notre environnement. La plasticité de notre cerveau, conditionnée par nos activités, s’altère, ainsi que les connexions synaptiques que nos activités génèrent. Les notions d’espace (matériel et sensoriel) et de temps (raisonné) participent aux conditions de toute expérience pouvant conduire à une connaissance ou sagesse. Les modifier dénature considérablement notre relation au monde.

 

 

e)     Si nous ne savons pas où nous sommes, nous ne pouvons savoir où aller

 

Le GPS, outil bien pratique pour nous guider dans un environnement inconnu, non seulement modifie nos circuits cérébraux (atrophie de l’hippocampe, la zone qui forme les souvenirs et pilote le sens de l’orientation) mais encore distord notre perception de l’espace : une fois arrivés à destination, nous sommes souvent incapables de situer précisément l’endroit sur une carte. Or, si nous ne savons plus où nous sommes, nous ne pouvons savoir non plus où nous allons. Mais les BD le savent pour nous ! Par ailleurs, ce travail de sape de nos fonctions cognitives justifie ensuite l’usage de l’ordinateur, bien plus performant, mais également le fait d’augmenter l’homme : voyez combien le cerveau est un ordinateur obsolète requérant un processeur plus rapide, doté d’une mémoire plus étendue ! 

 

 

5)    La notion du réel 

 

Avec Copernic, l’homme ne fut plus au centre de l’univers ; avec Darwin, l’homme devint un animal évolutif parmi d’autres ; avec Freud, l’homme ne fut plus au centre de lui-même. En consignant la triple humiliation de l’homme dans son Introduction à la psychanalyse, Freud pouvait-il imaginer qu’un jour, nous ne serions même plus au cœur du réel, de l’existence matérielle ?

 

L’intelligibilité du réel se définit désormais à partir d’une définition chiffrée qui masque la complexité du réel : le reflet de la réalité s’impose au détriment de la réalité elle-même. Dans cet univers dupé, la machine incarne la perfection, obligeant l’homme au zéro défaut. Mais s’il n’y a plus de place pour l’erreur, il n’y a alors plus de place pour l’humain : elle lui est fertile et fait partie de son apprentissage. Trébucher, se tromper pour apprendre et se réajuster. De même que ses faiblesses et défauts peuvent se transformer en atout ou forces : intuition et créativité prennent alors le relais pour triompher de l’adversité, notre noodynamique pouvant même conduire à du génie et à la sérendipité.  

 

De même, la ‘réalité’ qui se pavane sur les RS en transpirant le succès incite à l’impératif de réussite comme idéal absolu à atteindre, et érige l’échec comme une inadaptation au mouvement, accroissant jalousie et envie. Ainsi captivés par la perfection virtuelle, on en arrive à détester notre réalité, son imperfection, sa complexité, son imprévisibilité et… ses exigences grandissantes. 

 

Phénomène probant chez les plus jeunes, que les professeurs prennent souvent en flagrant délit de rêverie, et impatients de rentrer jouer pour s’immerger dans la virtualité (empiré par le confinement, en allongeant les temps de tablette pour libérer les parents en télétravail). Un monde virtuel, construit conformément à leurs besoins et désirs, où ils sont pleinement acteurs, loin de l’incertitude angoissante de la réalité, avec un sentiment d’immortalité et d’intemporalité

 

Ce désarrimage d’avec le réel, d’autant plus inquiétant que le monde virtuel se présente à eux avec la force et la vraisemblance du réel, n’en sera qu’amplifié par la popularisation et propagation des casques de Réalité Virtuelle (RV), qui permettent la réalité augmentée[76] ou mixte[77]. Facebook lance, à cet effet, son réseau social en RV, Facebook Horizon, décrit comme une expérience sociale où l’on peut explorer, jouer et créer à partir de son avatar. En enfilant la combinaison Teslasuit, qui permettra d’agir et de ressentir toutes nos interactions dans la virtualité, notre cerveau ne pourra plus distinguer le virtuel du réel. Le monde virtuel deviendra lui-même une réalité.

 

 

Capture d’écran 2021-02-12 à 09.36.30.png              Le Gorafi

 

En désinvestissant la réalité, c’est notre ancrage dans la vie réelle, et ce que nous avons à y explorer, découvrir et réaliser, qui est annihilé. La fuir revient à ne plus nous frotter à ses aspérités, qui nous font grandir, à ses projets, qui lorsque nous les élaborons nous font frémir, à ses dépassements, qui renforcent l’estime de soi : soit à fuir le principe de réalité en épousant l’illusion d’une toute-puissance dans un monde chimérique. C’est le cas avec les univers persistants, qui sont plus qu’un simple jeu : ce sont aussi de nouveaux territoire, réseau, identité, statut social. Une nouvelle vie ?

 

Une fois la triade existentielle (conscience, liberté, responsabilité) évincée, c’est toute notre expérience humaine sur terre qui s’en voit tronquée. Derrière un ordinateur, l’utilisateur compulsif, en proie à ses émotions et à des biais cognitifs, prend des décisions irrationnelles, influencées par des normes et dépourvues de toute responsabilité : il se recroquevilleet s’effondre sur lui-même.

 

 

6)    La liberté de mal se comporter

 

Seuls derrière nos écrans, notre identité représentée par une photo (généralement valorisante – trafiquée ou non !) ou un avatar, on se jauge les uns les autres comme des objets à évaluer. Avec, pour risque inhérent, de baser son estime de soi d’après cet avatar, qui n’est pas nous, et de laisser le doute nous envahir quant à notre aptitude à séduire, à être intéressant, à avoir suffisamment réussi sa vie. D’où le besoin d’être adoubé et la jouissance de se découvrir « liké ». 

 

Par ailleurs, la représentation de l’autre, désincarnée, atténue l’empathie et étaye l’individualisme avec revendications identitaires. En ne jouant plus « collectif », nous avons perdu la force du groupe tout en redéfinissant les comportements sociaux : on peut s’attaquer aux autres en toute impunité, ou se relier ponctuellement, sans rendre de compte. Tout devient possible, avec triomphe du relativisme.

 

 

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Le sociologue Emile Durkheim a expliqué cette rupture comportementale par l’anomie : les valeurs normatives structurantes (incarnées, par le passé, par les traditions et croyances religieuses) ayant disparues, les êtres ne reconnaissent plus de règle sociale pour guider et borner leur conduite et leurs aspirations. Or, lorsque la collectivité souffre du chaos dû à l’absence de règles de bonne conduite communément admises, cela occasionne de l’insatisfaction, voire de la démoralisation.

 

Ne faisant plus confiance à personne, on cherche du réconfort dans des produits palliant le vide affectif (et favorisant les addictions) : des produits qui ne trahissent pas et n’engagent pas, que l’on consomme, puis que l’on jette. On peut ensuite appliquer cette même philosophie à l’autre, assimilé à un produit consommable, le débarrassant ainsi de son pouvoir de nuisance. Charles Melman parle d’économie de la jouissance, où l’hédonique (plaisir immédiat) a pris le pas sur l’eudémonique (le but de l’action est le bonheur en tant que souverain bien).

 

 

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Les RS, sites de rencontre et autres plateformes de mise en contact condensent aujourd’hui, de fait, des expériences négatives en matière de comportements odieux et d’aspirations délétères. Ce dont témoigne la multitude de néologismes anglicistes créés au fur et à mesure de leur apparition : le ghosting[78], le negging[79], le whelming[80], le stashing[81], le love bombing[82], le cuffing[83]… « C’est l’écart qui jusque-là séparait les êtres entre eux et les êtres et les choses qui peu à peu se réduit[84]. » 

 

 

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                                      Elle attend l'homme parfait sur Internet... 

 

 

Quel sens ont alors aujourd’hui nos comportements, les mots que nous choisissons d’employer et, en particulier, « donner sa parole » ?  

 

 

7)    Liberté d’expression et politiquement correct

 

 

La déclaration des Droits de l’homme du 26 août 1789 proclame que « nul ne doit être inquiété pour ses opinions, mêmes religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par le loi ». Puis vinrent les RS, donnant àchacun la possibilité de s’exprimer alors que ce ne fut longtemps que l’apanage des élites et institutions. Dans ce tohu-bohu d’expression, où une information fait le tour de la planète en quelques minutes, le trouble de l’ordre public fut vite arrivé, faisant la part belle au politiquement correct (PC), à la bien-pensance ou à la « pensée unique ».

 

Ici, deux questions se posent. Peut-on vraiment parler de ‘libre expression’ sur les RS ? Et si l’exercice de la liberté d’expression peut pourtant y être effectif, quelles en sont les limites ?

 

La société moderne est marquée par l’explosion de la communication, menant à une saturation de l’information (quantitatif Vs. qualitatif) et à un déplacement des référents avec un bouleversement de notre système de représentation. Le sémiologue et journaliste Ignacio Ramonet parle d’une « tyrannie de la communication[85] », lorsque Jean Baudrillard évoquait déjà la « circularité opaque des signes » de la communication, dont découlerait « un jeu d’apparences pures, un monde de simulacres[86] et de simulations[87] » Vs. l’existence authentique.

 

Ce qui se vérifie sur les RS : agnotologie et post-vérité, d’une part, comme nous l’avons vu et, de l’autre, autocensure, lieu de défouloir et d’exutoire, opinions normatives, langue de bois, controverses haineuses, billevesées (lorsque le Bescherelle n’en prend pas un sacré coup lui-même), le tout, à l’ère du politiquement correct (PC). 

 

 

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Le PC porte l’idée que le langage véhicule une histoire et des stéréotypes et peut donc être vecteur de discriminations à l’égard d’un groupe minoritaire ou dominé, produisant une stigmatisation. Exclure des concepts tels que racisation, inclusion, handicap, est aujourd’hui un impensé dans cet espace agglomérant toutes les catégories sociales de la planète.

 

Mais le PC nuit-il à la liberté d’expression ? Oui, quand il est perçu comme une « police du langage » (et de la pensée) inhibitrice et liberticide, muselant l’expression et enfermant, par son accumulation, le débat dans d’étroites limites. Non, si on le perçoit comme un modèle de civilité (certes initié par la réprobation sociale, souvent matérialisée par le name and shame[88]) basé sur la réceptivité à la diversité des sensibilités et donc comme un outil de pacification des rapports sociaux via la régulation de la liberté d’expression. 

 

 

 

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C’est entre autres le PC qui a permis, par un effet boule de neige, d’encourager la parole des femmes en brisant le silence qui entourait les viols et les harcèlements et de leur donner de la visibilité via le mouvement #metoo (et plus récemment #metooinceste), et a converti un sujet tabou en ‘juridiquement correct’ (se substituant ainsi au processus judiciaire). Car dans cet hyperconformisme et hypernormalisation des comportements sur les RS, la parole s’est déliée en vertu du fait qu’il ne s’agissait pas d’un phénomène isolé (besoin d’appartenance au groupe dans ses deux sens). 

 

Aussi, alors que les rapports humains sont faits d’ambivalences, d’aspérités et d’accrocs (comprenant un potentiel de transformation), les RS, le PC et le normatif-puritaniste leur font barrage en favorisant leur étouffement. Avec perte de la singularité individuelle et du transgressif disruptif (nécessaire pour se renouveler) : même le mouvement #metoo, aussi nécessaire et précieux soit-il, porte en lui cette tentative de normalisation de la société en cherchant à ‘juridifier’ toutes ses relations.

 

La seconde interrogation, quant à elle, soulève la question de la régulation à proprement parler des discours sur les RS. Les BD avaient jusque très récemment une responsabilité limitée en matière de contenus : ils devaient retirer un contenu illicite lorsqu’ils en avaient connaissance, ou un contenu jugé précédemment illicite par les tribunaux. Ce qui leur était profitable, comme nous l’avons vu. 

 

Il a donc fallu que FB attende que plus de 1000 enseignes suspendent leurs campagnes publicitaires sur sa plateforme en juillet 2020 (dénonçant la recrudescence des messages haineux ou racistes sur FB) pour les astreindre à modifier leur politique de modération. Pour regagner leur confiance, FB (mais également Twitter et YouTube) a alors scellé un accord l’engageant à ‘mieux’ lutter contre la haine en ligne. Depuis, leurs algorithmes réadaptés d’après ces nouvelles normes, et secondés par une poignée de modérateurs, traquent le moindre mot, image, post prêtant à confusion. Nous sommes désormais très loin de la règle : « la liberté est le principe et la restriction l’exception ».

 

 

8)    Parole Vs. action

 

 

Nous vivons aujourd’hui de nombreux dérèglements, parmi lesquels le délitement du lien social qui, n’étant plus préalablement défini, ne s’impose plus comme une évidence. Celui-ci occasionne une redéfinition de la parole en tant que vecteur de pensée et de reliance au monde. Il y a la parole qui, délivrée à distance, est impunément banalisée et ainsi, n’engage pas. Et celle qui, en disant, pense pouvoir se dégager du faire, tout en étant parfois décloisonnée et relayée par des actions IRL.

 

Une langue parlée, c’est une représentation du monde, une manière de raisonner, une culture. Lorsqu’appauvrie, comme on l’observe couramment sur les RS (reflet de la société), c’est la qualité de notre réflexion mais également de notre communication aux autres qui s’en voit réduite.

 

 

 

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Dans cette difficulté à dire, la ‘liberté d’expression’ tous azimut sur les RS mène rapidement à la violence : les propos haineux y sont banalisés alors qu’ils abiment les individus et délient le corps social. 

 

Le puritanisme peut de même comporter le danger de camoufler ce qu’il y a réellement à voir derrière la parole (#metoo n’est pas qu’un signe d’identification reliant, c’est aussi l’expression de ce qu’il y a d’insupportable dans le comportement de prédateurs et dans la discrimination des femmes). Enfin, la collectivité se basant aujourd’hui essentiellement sur des expertises et savoirs et non plus sur la transmission de doctrines et coutumes, le discours se dénature et s’émousse. Or, en mélangeant tout, en noyant ses propos mis au même niveau (ex : justice et haine), en ne donnant pas leur sens aux mots, en les privant de leur forme de gravité, alors, ils n’engagent plus

 

De même, la parole (et les images) peut être inopérante lorsqu’une fois qu’elle a « dénoncé » (Black Lives Matter), elle n’est suivie d’aucune disposition concrète étatique efficiente permettant d’endiguer le propos révélé : elle reste enfermée dans les médias, ne permettant pas la cristallisation d’un réel mouvement social. De fait existe-t-il une dissymétrie entre paroles et actions, qui atrophie la capacité à faire face au réel et à sa vie en ce qu’il n’y a plus d’impératif à s’engager dans l’action. 

 

Enfin, on peut également penser que ‘dire’, c’est ‘faire[89]’ (dans la lignée des énoncés performatifs), car dire participe à faire exister les choses, les gens, les situations. Dès lors pensons-nous pouvoir nous abstenir d’agir, les mots l’ayant fait pour nous. Ou, à l’inverse, une information ou dénonciation en ligne peut inciter certains ‘justiciers’ 2.0 à la prolonger et relayer dans la vie réelle. Ainsi, une vidéo diffusée sur les RS peut-elle donner lieu à des représailles dans la vraie vie, comme certains faits divers l’ont illustré.

 

 

9)    La connaissance de soi-même

 

Il est ici question tant de la connaissance de soi-même que les algorithmes nous renvoient (laminée, tronquée et insidieuse) que de celle que nous élaborons dans la réalité de notre vie, et qu’un usage compulsif d’internet peut altérer, essouffler, réduire à néant, ou au chaos (une vraie problématique en ce qui concerne les jeunes, en pleine construction et découverte d’eux-mêmes).

 

L’avatar numérique de l’humain sur les RS se résume à une ligne de code. Son classement en profil se fait selon des critères propres au système : religion ? conviction politique ? environnement affectif ? habitudes sexuelles ? Soit, une image figée et réductrice résultant de l’agrégation de données hétérogènes et fragmentées. Y adhérer revient à faire le choix du « non choix » et finir par se trouver toujours ailleurs par rapport à soi-même, à désirer beaucoup sans jamais rien vouloir. De même, nos émotions sont manipulées et contrôlées, et nos attentes décelées, sinon anticipées. Or, nous avons besoin de frustrations et d’émotions authentiques à déchiffrer et à apprivoiser pour évoluer en adultes responsables et autonomes.

 

Par les produits, contacts, voyages qu’ils nous suggèrent, les BD nous renvoient à une intelligibilité de nous-même que nous acceptons par consentement tacite. Or, le data mining transpose les usages d’internet au monde réel : elle les incarne dans notre réalité. Une réalité qui se voit alors soumise à l’idée d’une fixité des désirs, d’une immuabilité des choix, faisant ainsi l’impasse sur notre part d’ambivalence, de doutes. Comment l’IA pourrait-elle discerner nos besoins de transcendance ? Ainsi que l’inconscient, les rêves, les fantasmes, l’irrésolution, l’ambiguïté de la nature humaine ? 

 

La connaissance de soi passe par une acceptation du réel (principe de réalité) et un effort d’authenticité pour rencontrer l’Autre et la Vie, dans toutes leurs dimensions. Les algorithmes, en nous déconnectant du réel, et les RS, en nous effondrant sur nous-même, nous coupent de cette altérité. Or, si l’on ne peut rencontrer la vie et l’autre authentiquement, alors on ne peut ni sortir de son enfermement identitaire ni découvrir, à travers eux, des dimensions de nous-même qui nous sont inconnues et pourraient nous révéler des possibles. Enfin, décider que les algorithmes nous connaissent mieux que nous-même, c’est renoncer à devenir ce que nous sommes.

 

 

10)  Notre vie intérieure

 

Notre vie intérieure est soumise à une double peine. 

 

Nos lieux profonds sont pillés dans leurs dimensions rendues accessibles aux BD : une partie de nous-même nous est volée, est détournée et sauvegardée dans un nuage sans que nous ne connaissions l’usage qui pourrait en être fait (en 2011, G. Bell, Microsoft travaillait sur MyLifeBits, projet de lifelogging[90]). Fantasme atavique de notre identité et mémoire numériques ? 

 

Mais notre vie intérieure est également fourvoyée dans ses dimensions émancipatrices : en tant que source d’enseignement sur notre manière unique d’être qui nous sommes et de traverser le monde, mais également en tant que fécondité pour nos conscience, créativité, empathie, équilibre émotionnel et liberté. Sans immersion régulière dans notre vie intérieure, nous en perdons l’équilibre dans notre vie extérieure. Le sens de nos orientations se dérobe et nous aliénons notre singularité, notre libre arbitre, ainsi que toute volonté de nous échapper…

 

 

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V – 3 exemples : cas concrets

 

 

1)  L’application « Tousanticovid »

 

Cet exemple témoigne de la défiance envers les médias, de la conscience du fait d’aliéner sa liberté pour gagner en sécurité, puis, dans un commentaire antagoniste, de l’efficacité de la stratégie de manipulation n°9 : remplacer la révoltepar la culpabilité (« Le fait d’utiliser cette appli, pour moi, c’est un acte de solidarité »)

 

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2)  Une étudiante regrette s’être exprimée sur le décès de Samuel Paty sur FB

 

Cet exemple illustre notre propension à la réactivité Vs. réflexivité ainsi que la rapidité avec laquelle la colère peut être excitée et être immédiatement matérialisée par des propos violents à l’ère des RS. Elle témoigne, enfin, de l’expression (courante sur le RS) d’une opinion non documentée.

 

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3)  Deepfake[91] (ou « hypertrucage »)

 

Des algorithmes utilisent les données vidéo et images d’un individu pour créer un modèle virtuel de son visage et le superposer à n’importe quelle image/vidéo. Lorsqu’il s’agit d’une vidéo porno, il devient quasi-impossible de la faire supprimer du site sur laquelle la personne malveillante l’a postée : bien que modérée et retirée, elle aura, entre temps, été téléchargée par un utilisateur qui la repostera. 

 

Cet exemple illustre la manipulation de l’information en ligne et combien nous n’avons déjà plus aucun contrôle sur l’utilisation – possiblement malveillante – qui est faite de notre image et de notre identité numériqueUsurpation d’identitépiratagecyber-harcèlementcybercriminalité… 

De l’utilité de protéger ses données.

 

 

 

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VI – Comment l’AEL peut-elle nous aider à revaloriser notre liberté « d’être-au-monde » ?

 

Nous faisons face à une névrose collective de nature sociogène. Le modèle algorithmique des BD, basé sur la rationalité technologique, annihile l’être humain, qui n’est plus considéré que comme un matricule, un consommateur modélisé et statistisé, une marionnette mue par ses pulsions. Réifié, il est acculé à un ‘présent éternel’ désincarné, dépourvu de valeurs collectives et références normatives sur lesquelles s’appuyer, astreint à façonner ses opinions à partir de savoirs fractionnés et d’expertises biaisées ; transmué par l’économie de la jouissance, il peine à établir des liens authentiques et à se relier véritablement, ainsi qu’à donner du sens à son histoire et à ses histoires. 

 

La chute dans la névrose noogène est consécutive au déficit d’un vécu sensé dû aux conditions d’existence objectives (sans évoquer la situation sanitaire, amplificatrice) et se solde par le déploiement d’une violence collective et des contre-valeurs de l’Eros (mépris, haine), du Pathos (irresponsabilité) et de l’Ethos (indifférence). Le dysfonctionnement sociétal ouvragé par les GAFAM a de lourdes conséquences pour l’équilibre mental de ses utilisateurs, témoignant ainsi du fait que le progrès technologique ne va pas systématiquement de pair avec le progrès moral.

 

Les BD manipulent et restreignent les libertés mondialement tout en nous ciblant individuellement. « Le collectif se dissout dans l’individuel, le politique dans le psychologique. Cela sert bien tous ceux ayant intérêt à dissoudre la société dans le marché[92]. » Usés, nous pouvons néanmoins décider de nous (ré)approprier individuellement notre liberté « d’être-au-monde » et de (re)valoriser notre singularité. Mais également d’agir sur le collectif en dénonçant ce qui se trame ‘de l’autre côté du miroir[93]’ tout en laissant aux politiques le soin de légiférer la souveraineté numérique – qui leur nuit !

 

 

1)    Plan collectif 

 

Bénéficiant de la convergence technologique, de l’absence de régulation efficace et de l’apport de ressources financières gigantesques, les acteurs américains de l’Internet ont étendu leurs activités à l’échelle globale, leur permettant d’accumuler un nombre considérable de données sur la population mondiale, et de mettre K.O le reste du monde, à la traine. Leur pouvoir de tir se vérifie même en situation de pandémie : ce sont les grands gagnants de ‘l’économie du confinement’. 

 

Les États, se retrouvant alors à la fois contestés et concurrencés dans l’exercice de leurs prérogatives classiques attachées à l’autorité (mais pas que, puisqu’après Libra, le projet de monnaie de FB, Amazon s’apprête également à lancer sa propre monnaie digitale au Mexique, entrant en concurrence directe avec les États en devenant créateurs de monnaies), tout en étant difficilement capables de les égaler en matière d’outils technologiques (à l’exception de quelques startups), ont cherché à domestiquer cette ‘souveraineté numérique[94]’ – les instruments de leur propre pouvoir devenant indissociables de la technologie. 

 

Ainsi, la Russie, l’Iran ou la Chine ont-ils repris le contrôle de la gouvernance de leurs espaces numériques, y appliquant leurs lois et y promouvant leurs intérêts. Tandis qu’en Europe, l’Allemagne ou la France – qui cherche à « étendre à l’espace numérique le champ de l’état de droit[95] » – ont légiféré en vue de protéger les libertés de leurs citoyens contre des entités malveillantes et de soutenir un modèle de gestion plus éthique et respectueux de leurs droits et valeurs. Il est possible qu’à terme, sites et applications deviennent payants (afin qu’ils puissent se passer des revenus de la publicité).

 

 

a)    Régulation, fiscalisation, législation et juridiction européennes

 

Le 15 décembre 2020, la Commission Européenne a publié les projets de règlements Digital Services Act[96] (DSA) et Digital Market Act[97] (DMA), visant à réguler l’espace numérique européen à l’horizon 2022. Ils ont pour objectif de doter l’UE d’un nouveau cadre de responsabilité des grandes plateformes du numérique dans leurs dimensions sociétale(lutte contre la dissémination des contenus illicites ou préjudiciables), économique et concurrentielle (garantir que les marchés numériques restent innovants et ouverts à la concurrence, et que les relations commerciales entre les grands acteurs et leurs partenaires commerciaux y demeurent équilibrées et loyales).

 

En France, c’est la CNIL[98] qui est chargée de veiller à la protection des données personnelles contenues dans les fichiers et traitements informatiques ou papiers, tant publics que privés. Celle-ci peut être relayée à tout moment par une décision gouvernementale. Ce fut le cas lors du tragique assassinat de Samuel Paty, occasionnant la création de l’article 18 de la loi sur les séparatismes : le délit de « mise en danger de la vie d’autrui par divulgation d’informations relatives à sa vie privée, familiale ou professionnelle » permettant de l’identifier ou de la localiser (3 ans de prison + 45 000€). 

 

La notion de ‘souveraineté numérique’ ne se limite toutefois pas à la stricte perspective juridique attachée au pouvoir des États. Elle renvoie également au droit des personnes à s’autodéterminer dans un monde numérique. Ce au nom de quoi les hackers ouvrent souvent la voie.

 

 

b)    Les failles du système : les hackers  

 

Les hackers sont les premiers à refuser le modèle marchand, intrusif et opaque des BD, de fait en dénoncent-ils le système, lorsqu’ils ne le mettent pas à mal (négativement comme positivement). Ce fut le cas en 2014, lorsque Edward Snowden révéla l’espionnage généralisé au profit des intérêts politiques et économiques américains. L’affaire donna lieu à une remise en cause profonde du système de gouvernance des espaces numériques, avec, en Europe, une renégociation avec les États-Unis des accords relatifs à la protection des données personnelles des utilisateurs européens. 

 

Ainsi forment-ils un contre-pouvoir pragmatique capable d’inspirer des modes d’action à venir. Militants des droits de l’homme, lanceurs d’alerte, journalistes dans l’ombre œuvrent à ouvrir la boite noire, à contourner la censure (logiciels ouverts pour partage gratuit) et à échapper à la surveillance totale de la matrice. Ils mettent à disposition des boites mails éphémères, des outils de navigation anonyme ou de cryptographie (VPN), organisant l’invisibilité des utilisateurs intéressés afin de leurrer les systèmes de surveillance. En enrayant la surveillance généralisée, ils sont devenus les ennemis publics n°1 des BD et des services de renseignement américains.

 

Raison pour laquelle le Département de la défense américain a développé Memex[99], capable de fouiller le Deep Web (dark web), afin – prétendument – de traquer pédophiles, trafiquants et terroristes. En réalité, la majorité de ceux que l’on peut y trouver ne cherche qu’à se protéger du vol de leurs données. Cette résistance s’accroît désormais via la création de microgroupes (solidarité, échanges libres, société démocratique à échelle humaine, RS de proximité, micro-communautés indépendantes) ou des ‘créatifs culturels’ défendant des valeurs telles que la créativité, la responsabilisation, la spiritualité centrée sur le Soi, la bienveillance, l’humanisme ou la plénitude.

 

 

2)    Plan individuel : ose armes citoyen !

 

Je vais ici partir du principe que le sujet souffre d’une névrose noogène et que la logothérapie peut donc se pratiquer en première intention.

 

 

a)    Reconnexion à l’« être-là » (triade tragique) : la mort, la souffrance, la culpabilité

 

Questions : Le sujet est-il en détresse ou vide existentiel ? Quelle est la perte personnelle conduisant à une perte de valeur et de sens ? Quels sont ses conditionnements et déterminismes : ses limites ? 

Objectifs : revenir au présent, ralentir, se risquer au face-à-face, se reconnecter avec son Dasein

 

Lorsque l’on se sent happé/e par la virtualité, que l’on commence à perdre pied, la solution toute trouvée serait de supprimer sur le champ tous ses comptes. Mais alors, ne serait-ce pas là faire l’impasse sur les causes de la chute dans l’addiction ?

 

 

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Résister aux NTIC, aujourd’hui, devient ardu : il faut pouvoir accepter une marginalisation et de s’extraire du temps. Mais cet espace libéré peut être mis à profit en faveur d’un face-à-face avec soi-même, d’une solitude subversive conduisant à la lucidité et donnant le courage d’échapper à la caverne numérique. Se trouver, c’est aussi se perdre, se mettre en danger.

 

L’idée, ici, serait de reconnecter un utilisateur compulsif avec son Dasein[100] : lui faire prendre conscience de son Être-là, dans sa Réalité Humaine, qu’il soit celui qui sait qu’il sait qu’il est là, et qu’il intègre l’idée qu’il recèle une possibilité en lui-même : celle de définir lui-même son être. Pour cela, il nous faut tout d’abord interroger la relation qu’à l’utilisateur aux NTIC afin de comprendre d’où vient la chute dans l’addiction. 

 

En entamant un dialogue socratique avec le patient, on ré-humanise le lien intersubjectif perdu par l’usage des RS : le « Je-tu » (relation authentique) se substitue au « Je-cela », (rapport fonctionnel). En faisant preuve de sympathie (Scheler), il y a un appel à la réversibilité de la présence (de l’être-avec-autrui). L’anamnèse permet une première approche de la détresse existentielle de la personne. On peut alors déterminer quelles méthodes logothérapeutiques seraient susceptibles de mieux l’aider.

 

J’utiliserais ici : la logo-hypothèse (utile en cas d’addictions, dépression, manque de tonus), le questionnaire Réflexions sur l’existence de Léo Abrami (approfondir le dialogue socratique), Comment ça va ? (déterminer le niveau de souffrance existentielle, s’immerger dans son référentiel, ses ressources créatives, sa dimension spirituelle), l’Atome social (ses liens à des personnes et activités qui ont du sens dans sa vie) et le logo-algorithmes (comprendre sa relation aux NTIC) !

 

Diagnostic dimensionnel : la personne souffre-t-elle de culpabilité existentielle (écart entre « être » et « devoir être »). De la peur de l’engagement ? D’une faible estime de soi ? D’un manque de reconnaissance ou de satisfaction de ses besoins ? D’un conflit noético-psychique (désaccord intérieur entre ses valeurs morales et des valeurs normatives). Y a-t-il perte de valeur du sentiment de la vie ? Solitude ? Déracinement ? Soumission aux valeurs familiales (loyauté familiale inconsciente ?). Si découvrir les limites de la personne a son intérêt (en tant que frein à la noodynamique), la logothérapie vise davantage à se concentrer sur ses puissances pour les (ré)activer.

 

 

b)    Reconnexion à son identité (triade anthropologique) : liberté de la volonté, volonté de sens, sens de la vie

 

Questions : Quelles sont les raisons de vivre du sujet ? Quelles sont ses puissances ? Qu’est-ce qui apparaît (plan phénoménologique) ?

Objectif : procéder à une auto-distanciation afin d’affirmer et choisir ses valeurs et de réactiver la noodynamique (le conatus[101]) de la personne, puis, de définir des projets personnels clairs, réalistes et porteurs de sens pour la personne 

 

Ici, on va chercher à approfondir les raisons de vivre de la personne via les trois modalités de sens énoncées par V. Frankl : eros, valeurs d’expérience, ce que l’on prend au monde (amour, nature, culture…) pathos, valeurs de créativité, ce que l’on donne au monde (produire une œuvre, s’engager pour une cause, profession…), ethos, valeurs d’attitude, ce qui me permet de me confronter à la souffrance et de lui donner du sens via l’auto-distanciation). 

« Celui qui sait pourquoi il vit peut endurer n’importe quel comment » Nietzsche

 

Mais également faire appel aux ressources de la personne via les méthodes suivantes : le Logo-ancrage (retrouver une motivation à partir d’une situation existentielle passée, source de sens et de mobilisation), le Logo-pic (définir ce que la personne place de plus haut dans son existence afin de déterminer ce à quoi elle peut se rattacher), l’autobiographie dirigée (identifier les déterminismes, qui est le personne et qui elle souhaite devenir), le logo-récit (pour conscientiser ce qu’elle sait déjà au fond d’elle-même) et la bibliothérapie (conseil de lecture, J-P Lachaux, Le cerveau funambule : comprendre et apprivoiser son attention grâce aux neurosciences, Odile Jacob),  

 

En cherchant du sens à sa vie, en déterminant ce qui lui convient (esthétique, éthique, spirituel) la personne va contrer la logique utilitariste du solutionnisme chère aux BD. En écoutant son daimôn[102], elle ne pourra faire autrement que de refuser le sacrifice de son humanité. Par ailleurs, le Dasein est fondamentalement un « être-avec » ; son « là » est toujours déjà « là-avec-les-autres » même dans la solitude ou l’isolement. En laissant affleurer notre eros, on prend pleinement conscience de notre interdépendance avec le monde et que si nous avons intérêt à notre bonheur, nous avons également intérêt à celui des autres : il nous faut restaurer les liens d’entraide, refonder le vivre ensemble.

 

 

c)     Reconnexion à son pouvoir personnel (triade existentielle) : conscience, liberté, responsabilité

 

Questions : Que va faire, concrètement, la personne pour se protéger, à tous les égards, des NTIC ?

Objectifs : s’auto-dépasser pour « être au monde » à partir de ses directions de sens = auto-transcendance.

 

Pour Heidegger, vivre, c’est se soucier : envers le monde, avec le monde, et dans le monde, qui est toujours déjà signifiant et expérimenté. Il y a 3 mondes du souci : le monde du soi, le monde commun (autrui) et le monde ambiant. Et dans la relation souci-monde, la distance est ce qui apporte à la Vie la concrète signification des choses qui s’offrent à elle. Reste que la distance peut être abolie par la dispersion : exerçons un peu notre vigilance.

« Vit à propos celui qui vit le présent non comme un simple praesens (comme un pur présent, sans autre qualification), mais comme quelque chose qui est toujours propositium (quelque chose qui est proposé, une parole qui nous est adressée) » 

 

Chaque personne définira ses projets en fonction de ses propres orientations de sens. 

 Mais voici ce que nous pouvons tous faire pour nous protéger des GAFAM : 

 

 

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* Reconnexion à la vie : Nature et sport ;

 

* Pas d’écran avant 6 ans, puis limiter le temps d’écran des enfants à 30mn max (pas d’effets négatifs détectables) – ainsi que le nôtre ! ; les initier aux dangers du numérique ;

 

* Alterner les périodes de connexion et de déconnexion (retour au temps long) et profiter  du JOMO (Joy of Missing Out Vs. Fear of Missing Out) qui permet de réfléchir, rêver, se nourrir. « Se décider pour le temps : pour ce temps, avec ses promesses et ses défis » (Biancu) ; 

 

* Devenir minimaliste (apprendre à se contenter de ce qui nous est essentiel, qui nous procure du sens et du plaisir sur la durée Vs. consumérisme). Plus le choix est grand (hyperchoix), plus grande est la peur de se tromper, plus grandes sont les attentes et les occasions de regretter (Less is more, de Barry Schwartz

 

 

* Adopter la slow life (prendre le temps de profiter de chaque instant : retour à la convivialité et l’appartenance) ;

 

* Pratiquer l’auto-distanciation et le scepticisme avec l’agnotologie (« pourquoi on ne sait pas ce que l’on ne sait pas » : questionnement épistémologique, éthique et politique), qui aide à acquérir une vision critique du monde ; 

 

* Cultiver et valoriser sa différence (en luttant contre l’uniformisation, la standardisation de notre façon de penser et de notre mode de vie) et passer de buts socialement référés à buts autoréférés ;

 

* Naviguer sur des réseaux alternatifs qui ne collectent pas nos données (DuckduckGo, Diaspora, Peertube, Tor, Linus…) ;

 

* Décider de nos partages en ligne de manière ciblée et influente : profiter de la démultiplication des activités et des possibles, créer des champs inexplorés, des formes alternatives singularisantes de réappropriation existentielle et d’auto-valorisation : un nouvel espace de liberté appréhendé de façon éthique ; 

 

 

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* Pratiquer la concentration (via la méditation, lecture, sudoku) qui (ra)mène à la mémorisation ; 

 

* Sécuriser ses données et limiter son empreinte numérique (VPN, Adblock, disque dur externe Vs. Cloud, navigation sécurisée, bout de scotch opaque sur la focale de notre caméra d’ordinateur, choisir des mots de passe efficaces, en se rendant sur une page web, on prend le temps de sélectionner les RGPD) ;

 

 

* Sur les Réseaux Sociaux, pratiquer la règle des 3x4x3 (on ne poste que ce que l’on serait ok pour poster sur une affiche de 4m sur 3 devant l’entrée a) du lycée b) de notre bureau c) de l’école de nos enfants – aujourd’hui comme dans 20 ans) et considérer l’écrit comme une opportunité de se donner le temps de réfléchir à sa réponse, de se relire, de vérifier que le ton soit approprié ; 

 

* Lecture sur papier d’un livre acheté dans une librairie (dernier lieu de résistance où l’on est inatteignable et qui est « un objet physiquement clos à lui-même mais ouvert à toutes les expériences de la connaissance et de l’imaginaire » E. Sadin) ;

 

* À l’instar d’Ulysse, décider de refuser l’immortalité que lui offre Calypso (pour nous, les GAFAM !), pour conserver son humanité

 

Car « C’est quand l’homme a appris à être libre qu’il est capable de se limiter.[103] »

 

 

 

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Conclusion

 

Ce mémoire visait à caractériser la menace existentielle inhérente aux algorithmes des GAFAM qui, par ailleurs, servent de méritants desseins, le confinement strict en fut témoin : techno-reliés à nos aimés distanciés, nous réinventer, exalter la solidarité, aiguiser une créativité aussi analeptique que jubilatoire, permuter en visio la réunionite rasoir, raccordés par des DJ à la fête ainsi qu’à nos toiles de maître et, à disponibilité, une bibliothèque illimitée. La diversité de l’offre culturelle sous cloche, chacun libre de picorer sa bonne pioche ! Les RS, ci-dessus si décriés, font aussi figure de messagers, en faisant affleurer l’impensé, et parfois flirter avec l’insensé. On perd en mémoire, mais on gagne en champ exploratoire. Les BD nous lobotomisent, mais au détour d’un clic, un post nous réactive… Tout est question de mesure, de circonspection et de précaution.

 

Car finalement pourquoi recourir quotidiennement aux outils numériques (auxquels nous sommes contraints) serait-il contradictoire avec l’exercice d’en faire la critique ? N’est-ce pas précisément l’usage chronique de l’outil invasif qui autorise à s’interroger sur les dangers que véhicule la révolution numérique en nous maintenant alertes ? De même qu’une fois éclairés, ne restons-nous pas libres de choisir comment voir, donner du sens ou réagir au mode opératoire de l’arsenal algorithmique : du déni (ou volonté de ne pas s’informer), en passant par la fatalité, jusqu’à se décider à limiter son empreinte numérique, à s’en affranchir par une digital detox ou à opter pour la sobriété ? 

 

Peut-être que leurs secrets dévoilés, les GAFAM seront acculés à réinsuffler de l’humanité et de la complexité dans leur univers algorithmé sous peine d’être boycottés ? Ou peut-être encore qu’internet va s’effondrer : les serveurs, bloqués, les réseaux, congestionnés par l’explosion des échanges de données ultra-énergivores, ou les routeurs, attaqués. Ou fonctionner à deux vitesses, avec une offre d’abonnement à bas coût pour bas débit, ou premium, véloce et efficace – les fournisseurs ayant fait faillite et les opérateurs ayant augmenté les tarifs de location des câbles. Ou bien encore nous contrôler, nos messages certifiés grâce à un selfie automatique enclenché au moment de notre connexion au réseau. Voire être directement implanté dans notre cerveau, nos pensées simultanément converties en informations numériques[104].

 

L’avenir numérique reste, en partie, tributaire de l’oligopole des GAFAM (et de la Chine ?). Agrégeront-ils le chaos ou la communauté ? À ce stade, à l’instar des trajectoires de vie[105], personne ne peut le prévoir, pas même l’IA ! Reste que, ici ou là, la détresse fait place à des aspirations d’ancrage, comme en atteste l’engouement des jeunes pour les tests ADN[106]. Outre leur aspect ludique, ils illustrent une quête plus profonde à l’ère de l’individualisme. Celle du besoin de s’inscrire dans une lignée, de savoir d’où l’on vient pour se forger une identité unique, édifiée sur des racines stables (par ailleurs, l’avenir des jeunes est intrinsèquement lié à la protection de l’environnement).

 

En terrain mouvant, tâchons toutefois d’éviter le réductionnisme, qui fragmente, alors que tout nous enjoint, au contraire, à décloisonner : on peut naviguer avec minutie et conscience sans se laisser engouffrer, se prémunissant de l’assujettissement et tirant parti des contingences et souffles de création inspirés par la navigation. Le tout étant de rester un pas de côté, voir la situation sous différentes perspectives, interroger ce que l’on nous donne à voir et plus encore, ce qu’on a envie d’y voir, s’en servir comme un outil d’exploration du monde et non de restriction de celui-ci, et préserver une vision transversale de notre vie. Car « sacrifier dès maintenant à la mort un morceau de cette vie, par peur de la mort et refus de l’accepter, c’est le meilleur moyen de ne garder qu’un pauvre petit bout de vie mutilée, méritant à peine le nom de vie ». Elly Hillesum, Une vie bouleversée, 1985.

 

 

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Le Logo-algorithmes

 

Lien avec son smartphone

 

-       A quoi associez-vous votre smartphone (tablette) ? 

-       Quel type de forfait avez-vous choisi ? 

-       Quel est votre rapport à Internet et aux technologies ?

-       L’utilisez-vous majoritairement dans le cadre professionnel ? Personnel ?

-       À quelle fréquence vous rachetez-vous un nouveau smart phone ?

-       À quelle fréquence vous connectez-vous à des applications de votre smartphone ?

-       Comment en faites-vous majoritairement usage (recherche, presse, RS, utilitaire, site marchand) ?

-       Êtes-vous nomophobe ?

-       Comment réagiriez-vous si vous n’aviez pas de connexion pendant 1 jour ou davantage ?

-       La journée, votre smartphone se trouve-t-il toujours à côté de vous ? Pourquoi ?

-       Modulez-vous sa sonnerie ? Utilisez-vous le mode « vibreur » ?

-       Avant de vous coucher, où se trouve votre portable et dans quel état erre-t-il ?

-       Cliquez-vous souvent sur un produit publicitaire qui vous est présenté ?

-       Comment vous informez-vous autrement : presse, tv, newsletter ?

-       Donnez-vous un nom ou surnom à votre smartphone ?!

-       Achetez-vous des accessoires pour votre smartphone ?

 

Les contacts via smartphone

 

-       Faites-vous partie de groupes de discussion sur WhatsApp, WeChat, Telegram ?

-       Si oui, de quels types de groupes s’agit-il ?

-       Que vous apportent-ils ?

-       Êtes-vous à l’aise avec les réunions par visioconférence ?

-       Utilisez-vous la visioconférence pour rester en contact avec des personnes géographiquement éloignées ? 

 

La relation aux Réseaux Sociaux

 

-       Êtes-vous inscrit sur un Réseau Social : Facebook, Instagram, Snapchat, Twitter,… ?

(si non, passer à la suite ; si Oui, voir questions ci-dessous)

-       Combien d’amis avez-vous sur le RS auquel vous vous connectez le plus fréquemment ?

-       Combien d’entre eux en connaissez-vous dans la vie réelle ?

-       Combien d’entre eux avez-vous été tenté/e de rencontrer ? (lorsque rencontrés sur RS)

-       Une rencontre a-t-elle donné lieu à relation à long terme IRL ?

-       Votre vie virtuelle a-t-elle pris le dessus sur votre vie sociale réelle ? Si oui, pourquoi ? Si non, pourquoi ? 

-       Vous arrive-t-il de passer une soirée sur les RS alors que vous aviez prévu autre chose ?

-       À quelle fréquence postez-vous vous-même sur les RS ?

-       Qu’attendez-vous des diverses publications que vous postez ? 

-       Lorsque vous postez (un texte, une photo, vidéo) allez-vous régulièrement vérifier si elle est likée et commentée ?

-       Est-ce qu’être populaire est important pour vous ?

-       Comment réagissez-vous lorsqu’un post que vous partagez obtient peu, voire aucun commentaire ni like ?

-       Vous servez-vous des RS pour rester en contact avec vos amis (IRL) ?

-       De combien de groupes faites-vous partie ? Pourquoi ?

-       Que recherchez-vous en rejoignant (ou en étant invité dans) un groupe ?

-       Quels types de groupes rejoignez-vous ? Pourquoi ?

 

La relation aux rencontres sur les réseaux sociaux et applications de rencontre

 

-       Vous est-il arrivé de rencontrer un/e compagne/gnon de vie via un réseau social ? 

-       Êtes-vous également inscrit/e sur un groupe de rencontres ?

-       Si oui, qu’en pensez-vous ?

-       Si oui, entre réseau social et applications de rencontre, lequel prend le dessus ?

 

Influence des réseaux sociaux dans la vie

 

-       Les conseils donnés dans les groupes sur les RS influencent-ils vos achats ?

-       Comment réagissez-vous lorsque des sujets abordés, ou des commentaires postés sont opposés à vos opinions ?

-       Lisez-vous tous les commentaires d’un post ou commentez-vous sans les lire ?

-       (si personne d’au moins 35-40 ans) Comment était votre vie, avant les RS ?

-       Qu’est-ce que les RS ont changé dans votre vie quotidienne ?

-       Quelle serait votre plus grande peur en lien avec les RS ?

-       Si vous deviez décider de fermer vos comptes sur tous les RS, quelles en seraient les raisons ?

 

Usage d’internet et sécurité

 

-       Utilisez-vous des précautions lorsque vous naviguez sur internet (effacer vos traces IP, VPN, navigation privée, effacer l’historique régulièrement) ?

-       Lisez-vous systématiquement les CGU ?

-       Sélectionnez-vous les cookies que vous autorisez lors de votre navigation ?

-       Autorisez-vous les notifications ? Si oui, lesquelles ?

  

 

Biblio-filmo-webographie

 

Livres

 

-  L’homme nu : la dictature invisible du numérique, Marc Dugain et Christophe Labbé, Robert Laffont, 2016, Plon, Edi8, 2016.

-  21 leçons pour le XXIe siècle, Yuval Noah Harari, Albin Michel, sept 2018.

-  La fabrique du crétin digital : les dangers des écrans pour nos enfants, Michel Desmurget, Editions du Seuil, sept 2019.

-  L’âge du capitalisme de surveillance, Shoshana Zuboff, Zulma, Oct 2020.

-  L’homme sans contenu, Giorgio Agamben, Circé, nov 2013.

-  Le discours de la servitude volontaire, Etienne de la Boétie, Flammarion, 2015.

-  Big Data : faut-il avoir peur de son nombre ?, Pierre Henrichon, Ecosociété Eds, oct 2020.

-  La vie algorithmique : critique de la raison numérique, Eric Sadin, L’échappée, mars 2015.

-  Vous êtes fous d’aller sur Internet !, Sébastien Dupont, Flammarion, 2019.

-  Sagesse et folie du monde qui vient, Luc Ferry et Nicolas Bouzou, XO Editions, 2019.

-  L’intelligence artificielle n’existe pas, Luc Julia, Editions First, 2019.

-  L’homme sans gravité : jouir à tout prix, Charles Melman, Editions Denoël, 2002.

-  La société de consommation, Jean Baudrillard, Editions Denoël, 1970.

-  Petite éthique du temps, Stefano Biancu, Editions de la Revue Conférence, 2015.

-  Petit traité de manipulation à l’usage des gens honnêtes, Robert-Vincent Joule et Jean-Léon Beauvois, Presses universitaires de Grenoble, 2004.

-  La haine en ligne : enquête sur la mort sociale, David Doucet, Albin Michel, sept 2020.

-  L’ère de l’individu tyran, Eric Sadin, Grasset, oct 2020.

Comment sortir de l’emprise des réseaux sociaux, de Dominique Boullier, Le passeur, oct 2020. 

-  La théorie mimétique, de l’apprentissage à l’apocalypse, René Girard, PUF, octobre 2020.

-  Le meilleur des mondes, Aldous Huxley, Plon, 2013.

-  La question de la technique, Martin Heidegger, Gallimard, 1958.

 

Films / Documentaires

 

-  The social dilemma (Derrière nos écrans de fumée), de Jeff Orlowski, Netflix, Août 2020.

-  The great hack : l’affaire Cambridge Analytica.

-  Selfie, de T. Bidegain, M. Fitoussi, T. Aurouet, C. Gelblat, V. Lebasque, Janvier 2020. 

-  The social network, de David Fincher, octobre 2010.

Idiocracy, Mike Judge, 2006.

 

Webographie

 

-  Gouvernementalité algorithmique et perspectives d'émancipation : le disparate comme condition d'individuation par la relation ? Antoinette Rouvroy et Thomas Berns

-  Les dix stratégies de manipulation de masses selon Noam Chomsky

Les tablettes à éloigner des enfants, Le Monde, 8 septembre 2020

-  La théorie de désintégration positive de Dabrowski

-  La pratique du "name and shame"

-  3 concepts chers à Bernard Stiegler

-  La fiction peut-elle dire ce qu’il est juste de faire ?, intervention de Frédérique Leichter-Flack, durant le Colloque des intellectuels juifs de France à l’ENS, le 5 octobre 2018

Le comité d'éthique du ministère de la défense donne son feu vert à la recherche sur le "soldat augmenté"

L'économie de l'attention 

Les GAFAM

Comment les entreprises surveillent notre quotidien

La gouvernementalité algorithmique et la mort du politique

La menace numérique : Big Mother is watching you

Réseaux sociaux, violence, harcèlement, insultes

Agnotologie, Mathis Girel, Universalis

Se retrouver dans une vidéo porno deepfake, Huffington Post, janvier 2021

 



[1] En 50 ans, ces entreprises ont bouleversé l’économie mondiale en profitant de situations d’oligopole dans leurs domaines respectifs : l’informatique et les produits électroniques pour Apple, le commerce en ligne pour Amazon, les services technologiques pour Google et Microsoft (+ système d’exploitation Windows) et les réseaux sociaux pour Facebook. 

[2] Le RGPD (Règlement Général sur la Protection des Données) encadre l’accès et l’usage des données personnelles des internautes et contraint les sites web à afficher des encarts d’avertissement lorsque des internautes s’y connectent. 

[3] Petit fichier stocké par un serveur dans le terminal – ordinateur, téléphone, etc. – d’un utilisateur et associé à un domaine web. Ils peuvent servir à mémoriser notre identifiant client, le contenu de notre panier d’achat ou à tracer notre navigation à des fins statistiques ou publicitaires. Avec la directive ePrivacy, certains requièrent notre consentement tandis que d’autres en sont dispensés.

[4] Les logiciels espions sont souvent inclus dans des applications gratuites et s’installent généralement à l’insu de l’utilisateur et à distance. Ils ne sont généralement actifs qu’après redémarrage de l’ordinateur ou smartphone. Ils sont principalement développés par des sociétés proposant de la publicité sur Internet. Ces logiciels leur permettent de connaître leurs cibles et de leur envoyer des publicités ciblées.

[5] Désigne les ressources d’informations dont les caractéristiques en termes de volume, de vélocité et de variété imposent l’utilisation de technologies et de méthodes analytiques particulières pour générer de la valeur qui dépassent en général les capacités d’une seule et unique machine, et nécessitent donc des traitements parallélisés.

[6] Une donnée servant à définir ou décrire une autre donnée, quel que soit son support (papier ou électronique). Exemple : on associe à une donnée la date à laquelle celle-ci a été produite ou enregistrée, ou à une photo, les coordonnées GPS du lieu où elle a été prise.

[7] Les courtiers en données collectent de l’information disponible publiquement (sources en ligne et hors ligne) et achètent le droit d’utiliser les données clients d’autres entreprises. Ensuite, ils analysent les données, en font des déductions, construisent des catégories de personnes et fournissent à leurs clients des informations sur des milliers de caractéristiques par individu.

[8] Lorsqu’on se connecte à un site web que l’on fréquente régulièrement, ce site utilise lui-même les infos sur notre profil captées lors de nos passages précédents (enregistrées par les cookies) pour placer, en temps réel, au moment où la page se charge pour nous, des publicités d’annonceurs partenaires, en lien avec notre profil. Ou il les communique à un courtier en information qui se chargera de trouver la publicité idoine sur la page que nous visitons. Dans le cas de Google ou de Facebook, qui détiennent des données utilisateurs plus « riches », le placement de publicité s’effectue d’après le profil utilisateur, ses navigations récentes, ses centres d’intérêts récents, voire ses opinions affichées (comme les « like »). 

[9] L’art de gouverner, en grec. Science de l’action orientée vers un but, fondée sur l’étude des processus de commande et de communication chez les êtres vivants, dans les machines et les systèmes sociologiques et économiques.

[10] Lawrence Lessig, professeur de droit, dans Harvard Magazine, janvier 2000.

[11] Recherche ou essai effectué au moyen de calculs complexes informatisés ou de modèles informatiques. 

[12] On distingue usuellement au moins trois types d’apprentissage machine : l’apprentissage par renforcement, l’apprentissage supervisé et l’apprentissage non supervisé.

[13] En informatique classique, les informations sont stockées sous la forme de bits, un élément prenant la forme de 0 ou de 1. En information quantique, les qubits, leur équivalent, peuvent être à la fois 0 et 1. Cette propriété permet ainsi de réaliser un nombre considérable de calculs à la fois. 

[14] Adèle Chinotto, « L’AI est-elle une représentation de l’intelligence parmi d’autres ? », La-Philo, février 2020.

[15] Cf. Bibliographie de fin de document.

[16] Le progrès technique détruit les emplois obsolètes pour en recréer d’autres, plus innovants et plus valorisants.

[17] Grâce à son célèbre algorithme PageRank, qui classe les liens affichés dans les résultats de recherche en mesurant la popularité des pages web. Un principe de classement ni neutre ni objectif : visibilité Vs. qualité et vérité.

[18] In Real Life = dans la vraie vie.

[19] Il existe deux types de référencement : le référencement naturel ou organique (SEO) qui est fonction des mots-clés d’un document, et le référencement payant ou sponsorisé (SEA), des mots clés sont achetés par des entreprises afin d’apparaître en premier dans les résultats de la recherche. 

[20] Pédagogie privilégiant l’éducation physique et le travail manuel. 

[21] Domaine de recherche explorant les liens entre les techniques de persuasion/manipulation (influence, motivation, changement comportemental) et les technologies numériques. Cela inclut la conception (le design), la recherche et l’analyse fonctionnelle d’outils numériques (logiciels, applications, pages web) créés dans le but de changer les attitudes et comportements des individus.

[22] Trou noir, ou passage s’ouvrant dans le tissu de l’univers permettant de déterminer quels types de publications (RS) ou quel tunnel de vidéos (YouTube) nous intéressera le plus.

[23] Courant de pensée originaire de la Silicon Valley qui souligne la capacité des nouvelles technologies à résoudre les grands problèmes du monde, comme la maladie, la pollution, la faim ou la criminalité.

[24] Utilisation systématique de données personnelles à des fins de surveillance.

[25] L’internet des objets, baptisé Web 3.0 (le Web 2.0 représentant le Web social) est l’interconnexion entre Internet et les objets (smartphones, réfrigérateurs, Google home, etc.), lieux et environnements physiques qui y sont connectés.

[26] Expression de Alain Damasio pour désigner le cocon maternant dans lequel nous nous sentons enrobés lorsque nous avons notre équipement technologique et notre environnement personnalisé sur celui-ci.

[27] Type d’architecture carcérale imaginée par les frères Bentham à la fin du XVIIe siècle où le gardien, logé dans une tour centrale, peut observer tous les prisonniers enfermés dans des cellules individuelles.

[28] Expression du psychiatre Michel Schneider renvoyant au fait, qu’en politique, nos dirigeants assument un rôle qui se situe entre le soin et la contrainte, avec des citoyens qui deviennent malades de la politique comme des enfants sont parfois malades de leur mère. 

[29] Michel Schneider, Big Mother : psychopathologie de la vie politique, Odile Jacob, 2005.

[30] Incitation psychologique basée sur l’économie comportementale. Ici, l’architecture influence le comportement.

[31] La génération qui a grandi en même temps que le développement d’Internet : on considère ainsi généralement que ces utilisateurs naturels et intensifs du Web et des téléphones portables sont nés entre 1980 et 2000.

[32] Portrait des caractéristiques psychologiques d’un individu. 

[33] Correspond à la principale base de données de Cambridge Analytica.

[34] “Netino” by Webhelp et Dentsu Consulting, 2019.

[35] Cette loi énonce que plus une discussion dure (et devient violente), plus la probabilité d’y trouver une comparaison impliquant les nazis ou Adolf Hitler s’approche de 1.

[36] Des messages agressifs intentionnels perpétrés de façon répétée par un individu, ou un groupe d’individus, via toute forme de communication électronique, à l’encontre d’une victime qui ne peut facilement se défendre seule.

[37] Individu « bête et méchant » qui aime créer des polémiques, quel que soit le sujet abordé.

[38] Platon, La République, Gallimard, 1993.

[39] Terme inventé par l’historien des sciences Robert N. Proctor (université de Stanford) pour désigner l’étude de l’ignorance et, au-delà de ce sens général, la stratégie de la « production culturelle de l’ignorance ». La racine grecque renvoie à agnoia, ou à agnosis, le préfixe exprimant dans les deux cas une privation de connaissance(s).

[40] Expression symbolisant la promotion intéressée du doute à l’égard de l’expertise et de la science à référés.

[41] Documentaire réalisé par Pierre Barnérias.

[42] On utilise la crédibilité d’une personne reconnue (ex : prix Nobel) pour nous faire accepter l’autorité d’autres intervenants mis sur le même plan et qui sont souvent contestables. 

[43] Procédé consistant à jeter par avance le discrédit sur toutes les personnes susceptibles d’apporter une contradiction.

[44] Un biais reposant sur la psychologie de l’engagement et qui est utilisé dans la communication hypnotique. À chaque fois que l’on obtient de quelqu’un qu’il acquiesce à nos propos, on augmente les chances qu’il acquiesce à ce qu’on va dire ensuite. On commence par le facilement acceptable, qui engrange un « oui », et on continue.

[45] On ne hiérarchise pas ses arguments de manière logique, on fait uniquement des associations d’idées avec l’avant et l’après, sans cohérence d’ensemble. Par conséquent, les incohérences passent inaperçues = assouplissement de notre esprit critique afin d’arriver à notre consentement. On accepte des idées erronées sans plus avoir les moyens de nous en défendre.

[46] Mathias Girel, « Agnotologie », article sur universalis.fr

[47] Expression du sociologue Marshall McLuhan.

[48] Jean-Marc Sylvestre, « Le boom du Drive-in, du Click and collect et de la livraison montre que la crise a converti les consommateurs français au digital... », blog.

[49] Mix de « professionnel » et « consommateur » désignant un consommateur expert, exigeant, attentif et responsable.

[50] Dimitri Mendes-France, « Havas et les Cannes Lions dévoilent l’avenir de l’Entertainment », maieute.com, mai 2019.

[51] Notre cerveau est un joueur compulsif, le jeu est donc le meilleur capteur d’attention qui soit : les BD investissent massivement dans ce secteur lucratif, marché estimé à près de 60 Mds d’euros.

[52] Autre nom des Massively Multiplayer Online Game (MMOG) : jeux implantés dans un monde virtuel fait de lieux – parfois – existants, et dont certains évoluent 24h/24.

[53] Massive Open Online Courses ou Cours d’enseignement massif diffusé sur Internet.

[54] Système formé par des millions d’années d’évolution afin de nous rassembler, nous accoupler et perpétuer l’espèce.

[55] René Girard, Mensonge romantique et vérité romanesque, Fayard/pluriel, mars 2011.

[56] Michel Foucault, Le souci de soi, Gallimard, 1984.

[57] Personne qui traque, piste, espionne une autre personne sur Internet.

[58] Parmi ceux-ci, le quantified self (applications mobiles dédiées à la santé et regorgeant de données utiles à collecter).

[59] L’inférence permet de créer des liens entre les informations afin d’en tirer une assertion, conclusion ou hypothèse. 

[60] Y.N. Harari, 21 leçons pour le XXIe siècle, Albin Michel, septembre 2018.

[61] Selfie, de T. Bidegain, M. Fitoussi, T. Aurouet, C. Gelblat, V. Lebasque, Janvier 2020.

[62] Edward Snowden, évoqué plus loin.

[63] Cf. voir Bibliographie du mémoire.

[64] Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication.

[65] Colloque des intellectuels juifs de France à l’ENS, intervention de F. Leichter-Flack, « La fiction peut-elle dire ce qu’il est juste de faire ? », le 5 octobre 2018.

[66] « Le concept même de vie privée est le fruit de ‘la révolution industrielle et de la croissance des concentrations urbaines’. Sa protection n’était même pas garantie il y a encore quelques dizaines d’années. Au sens historique, il s’agit donc d’une anomalie. », J. Marin, « La vie privée ? ‘Peut-être une anomalie’ », Le Monde, 22/11/2013.

[67] Ph V-D, « ‘La vie privée, une anomalie’ : Google de plus en plus flippant », Le Nouvel obs, 18/11/2016.

[68] Aldous Huxley, Le meilleur des mondes, Pocket, 1997.

[69] Selon l’Ademe, le secteur informatique est responsable de 4 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre.

[70] Roger-Pol Droit, Vivre aujourd’hui. Avec Socrate, Épicure, Sénèque et tous les autres, Odile Jacob, 2010.

[71] C’est l’obsession pour le présent, le fait de devoir tout vivre en temps réel, sans mémoire ni perspective d’avenir. 

[72] Ecclésiaste 3. 1-15.

[73] Stefano Biancu, Présent : Petite éthique du temps, Éditions de la revue Conférence, 2015.

[74] Pour cela, ils investissent massivement dans l’e-santé qui, par sa technologie de pointe et ses coûts faramineux va essentiellement bénéficier aux plus riches. Le « toujours plus » des BD : repousser la frontière de la mort. Ce qui va générer deux humanités, comme dans Elysium : celle des GAFAM et des plus riches vs. les pauvres.

[75] Francis Fukuyama, Le Monde, 17 juin 1999.

[76] Technique qui superpose à la réalité sa représentation numérique actualisée en temps réel, souvent en 2D ou 3D.

[77] Technologie combinant les caractéristiques de la réalité virtuelle et de la réalité augmentée.

[78] On entame une relation, puis on quitte l’autre sans explication, en le bloquant partout (RS, téléphone, etc.).

[79] Technique de drague consistant à mépriser l’autre par des remarques à double sens : ‘tu es grosse mais ça te va bien’.

[80] Lorsqu’une personne avec laquelle on a matché sur un site de rencontres se plaint auprès de son ‘match’ d’être dépassé/e par l’attention et les messages qu’elle reçoit sur la plateforme plutôt que de chercher à flirter avec son match.

[81] Une relation non assumée où on ne présente pas notre prétendant/e à ses amis et où on ne le mentionne pas sur les RS.

[82] Tactique consistant à montrer un excès d’attention à l’autre les premiers temps d’une histoire naissante avant de changer brutalement d’attitude.

[83] Un/e célibataire cherche quelqu’un pour traverser l’hiver. La relation ne dure que d’octobre à mars !

[84] Eric Sadin, La vie algorithmique : critique de la raison numérique, L’échappée, mars 2015.

[85] Ignacio Ramonet, La tyrannie de la communication, Gallimard, 2001.

[86] « Le simulacre, c’est la vérité qui cache qu’il n’y en a pas. Le simulacre est vrai. »

[87] Jean Baudrillard, Simulacres et simulation, Éditions Galilée, 1981.

[88] Pratique de stigmatisation consistant à affirmer qu’une personne ayant formulé un discours contesté est raciste, sexiste, homophobe ou encore handiphobe, selon les cas. Ex : JM Bigard ciblé pour des blagues douteuses dans l’émission Touche pas à mon post. Résultat, le quotidien Var-Matin a écarté l’humoriste de son festival d’humour.

[89] John L. Austin, Quand dire, c’est faire, Essais, 1991.

[90] Le stockage immédiat de toutes les expériences d’un individu (via images, sons, textes) tout au long de sa vie.

[91] « Se retrouver dans une vidéo porno deepfake », Huffington Post, Jesselyn Cook, 2 janvier 2021.

[92] Big Data : faut-il avoir peur de son nombre ?, Pierre Henrichon, Ecosociété Eds, oct 2020.

[93] Ce qu’ont fait tant Edward Snowden que d’anciens CEO des BD dans le documentaire Derrière nos écrans de fumée.

[94] Pauline Türk, « Définition et enjeux de la souveraineté numérique », Vie publique, 14/9/2020.

[95] M. Alliot-Marie, citée par M. Untersinger, « L’incertaine mais nécessaire ‘souveraineté numérique’ », Le Monde.

[96] En français : Loi sur les services numériques. Textes législatifs ayant pour fil conducteur « Ce qui est autorisé offline doit l’être online, ce qui est interdit offline doit l’être online (pédopornographie, antisémitisme, désinformation…) »

[97] Code sur les comportements anticoncurrentiels et abus de position dominante des « gatekeepers » (les GAFAM).

[98] La Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés, autorité administrative française indépendante, veille à ce que l’informatique soit au service du citoyen en ne portant pas atteinte à l’identité humaine, aux droits de l’homme, à la vie privée, aux libertés individuelles ou publiques (PHAROS permet de signaler tout acte leur contrevenant). Elle a un rôle d’alerte, de conseil et d’information tout en disposant d’un pouvoir de contrôle et de sanction. 

[99] Moteur de recherche du Deep Web de la DARPA.

[100] Littéralement, « Être-là » : c’est la présence en tant qu’existence. Pour Martin Heidegger, le Dasein est cet être à qui son propre être importe, qui est confronté à la possibilité constante de sa mort, en a conscience, vit en relation étroite avec ses semblables et qui, tout en étant enfermé dans sa solitude, « est toujours au monde » auprès des choses.

[101] Chez Spinoza, l’effort de persévérance intérieur qui s’exprime en nous sous la forme du désir.

[102] Chez les Grecs, puissance qui nous guide, nous empêche d’entrer dans le moule et de renoncer à qui l’on est.

[103] J-L Porquet, Jacques Ellul, l’homme qui avait (presque) tout prévu, Le Cherche Midi, 2012.

[104] Science & Vie Junior, janvier 2021.

[105] Une étude menée par 115 scientifiques, à partir d’une base de données portant sur 4 000 familles (13 000 données sur chaque famille) s’est penchée sur la question de savoir si, avec du machine learning, nous pourrions prévoir les trajectoires de vie. La conclusion fut sans appel : même la meilleur IA ne sait pas prévoir l’avenir ! TTSO, 28/10/ 2020.

[106] Interdits en France, on les commande sur internet via des entreprises privées : MyHeritage, 23andMe, LivingDNA…



17/02/2021
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